• LACOMBE Lucien - film de Louis Malle - histoire d'un collabo.

     

     

    Lacombe Lucien est un film français réalisé par Louis Malle sorti en 1974.

     

    En juin 1944, Lucien Lacombe retourne chez ses parents.

    Son père est prisonnier de guerre en Allemagne et sa mère vit avec le maire du village.

    Il demande à son instituteur, devenu résistant, d'entrer dans le maquis mais ce dernier refuse, le trouvant trop jeune.

    Lorsqu'il est arrêté par hasard, par la police, il dénonce son instituteur et rejoint alors la Gestapo française, corps auxiliaire français de la Gestapo, vivant la vie d'un agent de la police allemande.

     

    Durant la Seconde Guerre mondiale, Lucien Lacombe, un jeune paysan, cherche à entrer dans les rangs de la Résistance.

    Rejeté parce que considéré comme incapable, il accepte de jouer les mouchards pour une antenne française de la gestapo.

    Il mène une vie de prince jusqu'au jour où il livre aux ennemis le père de sa fiancée.

     

     

     

    Quelques scènes furent tournées à Figeac dans l'ancien hôtel du Viguier, rue Delzens.

     

      

    Il tombe amoureux d'une femme juive, France Horn.

    Lucien finit par s'enfuir à la campagne avec la jeune femme et sa grand-mère.

     

     

    Lacombe Lucien de Louis Malle, 1974, film franco-germano-italien avec Pierre Blaise, Aurore Clément, Holger Löwenadler, Stéphane Bouy, Jean Rougerie, Gilberte Rivet, Jean Bousquet, Pierre Saintons. durée: 138 minutes.

     

     

    Un film qui fait époque. Avant Lacombe Lucien le cinéma français avait littéralement inventé, et produit comme savonnette, le sous-genre Film de Résistance.

      

    Mais ce cinéma d’après-guerre, compensateur, réparateur, déculpabilisateur, véhiculait une imagerie héroïque cultivant faussement l’idée d’une généralisation de la sensibilité résistante au sein de la population française occupée.

      

    La traversée de Paris de Claude Autan-Lara (1956) avec Louis de Funès, Bourvil et Jean Gabin avait fait entendre le premier grincement cynique, grotesque, dérisoire et presque surréaliste sur toute cette période. On en reparlera certainement.

      

    C’est cependant Louis Malle qui, trente ans après la Libération, va introduire une nouvelle émotion, à la fois plus sincère, plus ambivalente mais surtout plus profondément douloureuse dans l’évocation des années de l’Occupation.

      

    Louis Malle avait douze ans en 1944.

      

    Pour lui, il l‘a dit souvent, l’occupation allemande fut le grand traumatisme de l’enfance.

      

    Cela dicte inexorablement une sensibilité toute nouvelle à la cinématographie et au traitement du drame français des années d’occupation. L’émotion, douloureuse et plurivoque, que Malle fera culminer avec Au revoir les enfants (1987), est intégralement introduite et campée dans Lacombe Lucien.

      

    Le public français de 1974 en restera bouche bée et le cri contradictoire de la bête blessée qui expie dans la douleur se fera alors entendre, dans la critique et dans le public. Encore aujourd’hui, un recul impartial s’impose face à ce cas problème artistique. Aussi, il était important d’installer Mademoiselle Lindsay Abigaïl Griffith de Milton (Canada) devant Lacombe Lucien.

      

    Née trois ans après la sortie de ce film, canadienne anglophone, cinéphile aguerrie s’asseyant pourtant, l’œil et le cœur purs, devant son tout premier film de Louis Malle, Mademoiselle Griffith se fit soumettre par la portion française de la compagnie de son cinéma de poche le dilemme suivant:

      

    À cause de l’irrésistible et mystérieux sentiment d’attachement que nous suscite le jeune collaborateur Lucien Lacombe, on accusa en son temps ce film de complaisance extrême-droitière. Une autre analyse suggère pourtant que c’est justement le charme ambivalent du personnage qui fait accéder le rejet du nazisme et de sa banalisation à un douloureux degré de profondeur critique, débarrassant la réflexion et l’émotion de son simplisme manichéen réducteur. Qu’en diriez-vous, vous qui incarnez la distance historique face à l’Occupation ?

    Mademoiselle Griffith prit sa mission avec sérieux et gravité et on s’installa. 

     

    1944. C’est le beau mois de juin et les anglo-américains viennent de débarquer dans le nord de la France. Mais le nord, c’est encore bien loin. Nous sommes dans la petite commune de Souleillac dans l’Aveyron. Nous la quittons à vélo avec Lucien et nous nous retrouvons à la ville (on ne précise pas quelle ville).

      

    Lucien Lacombe (joué par Pierre Blaise, une prestation purement magistrale), seize ans, récure les planchers d’un hospice. Taciturne, renfermé, déjà ténébreux, il parle peu. Le premier trait que l’on découvre de lui c’est qu’il a ce que les québécois appellent du visou. Il sait viser avec une arme. Il s’approche d’une fenêtre et terrasse à bonne distance un petit passereau jaune qui pépie dans un arbre, avec son lance-pierre.

      

    Moment suivant, le revoici au village, il prend le fusil de chasse de son père (prisonnier en Allemagne) et, malgré les protestations de sa mère (jouée brillamment par Gilberte Rivet) qui lui rappelle que c’est interdit, il part cartonner des garennes.

      

    Et il fait cartons sur cartons, quasi infailliblement.

      

    Il a vraiment du visou. On le voit casser le cou des garennes lardés de plomb qui frétillent encore. Puis on le voit caresser l’encolure d’un cheval mort que des paysans chargent sur une charrette. Puis on le voit casser le cou d’une poule et la plumer en compagnie des femmes du village.

      

    Louis Malle n’a pas lésiné sur la castagne animale en ouverture pour nous montrer en toute simplicité que cet enfant peut tuer froidement, comme n’importe quel paysan, probablement...

      

    Puis, on sent graduellement la frustration sourde de Lucien. Sa mère, qui ne sait pas si elle est vraiment veuve ou non, vit quand même en concubinage avec le patron de la ferme.

      

    On parle ici et là du maquis et Lucien sait que le point de contact avec les maquisards, c’est l’instituteur du village (joué par Jean Bousquet). Lucien lui apporte donc un gros garenne et lui demande l’autorisation de joindre la résistance.

    L’homme refuse, faisant valoir que c’est la vraie guerre là-bas et que Lucien est trop jeune.

      

    La réaction du jeune homme est insondable.

      

    Frustration, indifférence, timidité, continuité du désoeuvrement? Mystère.

      

    Lucien continue de faire la navette entre Souleillac et «la ville» mais bosser à l’hospice lui plait de moins en moins. Un soir, une crevaison sur sa bécane l’obligera à marcher des kilomètres et, fatigué, il transgressera involontairement le couvre-feu et s’approchera d’une étrange villa. Il vient de mettre le pied dans le quartier général de la gestapo locale.

      

    Il n’y a que des français. L’ambiance est aussi glauque que bon enfant et bizarroïde.

      

    On ouvre des piles de lettres de dénonciations (dont au moins une où l’auteur se dénonce lui-même), on procède à des tabassages scrupuleux, mais aussi, on joue au tennis de table, se fait couper les cheveux et on prend le petit déjeuner, le tout dans un décor somptuaire.

      

    Le tableau est surréaliste. Visiblement les gestapistes, des hommes et des femmes ordinaires, utilisent ce vaste domaine réquisitionné à la fois comme lieu de travail et de résidence.

    Lucien fait la connaissance de celui qui deviendra son futur chef, Monsieur Tonin (joué par Jean Rougerie), un policier dézingué pour extrémisme idéologique sous Léon Blum et ayant repris du galon sous Pierre Laval.

    Paterne, roublard, bonhomme, l’homme amène Lucien, comme en se jouant, à dénoncer l’instituteur de Souleillac comme tête d’un réseau de résistants. Encore une fois, les motivations de Lucien sont impénétrables. Mademoiselle Griffith grommelle, avec son joli accent:

      

    Ce n’est pas qu’il trahit par dépit. C’est qu’il déconne par manque de repères…

      

    Pendant qu’on amène et passe consciencieusement à tabac l’instituteur de Souleillac, deux gestapistes goguenards approchent Lucien et lui mettent un Luger allemand dans les pattes. Ils lui demandent alors de tirer sur un grand portrait du Maréchal Pétain.

    Lucien loge une balle sur le noeud de cravate, une balle sur le nez et une dans chacun des yeux du portrait du chef de l’État Français. Les gestapistes, qui croyaient impressionner un enfant en le faisant jouer du flingue, sont finalement plutôt admiratifs.

      

    Il a vraiment, mais vraiment du visou, ce garçon. Il n’en faut pas plus.

      

    Le voici, sans façon et sans cérémonie, comme si c’était un jeu, enrôlé dans la «police allemande». 

     

    Lacombe Lucien va se retrouver le sbire attitré d’un aristocrate facho, tranquille, longiligne et dédaigneux, le très drieux-larochellesque Jean-Bernard de Voisin (solidement campé par Stéphane Bouy).

      

    Luger au poing, ils vont œuvrer au démantèlement des réseaux locaux de résistance.

      

    Les miliciens qui les accompagnent portent des chapeaux criards, des costards voyants, des cravates à gros noeuds et des mitrailleuses en bandouillère.

      

    Il y a même parmi eux un noir, d’allure très duke-ellingtonesque (Hippolyte, joué avec élégance et classe par Pierre Saintons). Mademoiselle Griffith a alors ce mot: These so called German policemen look more like American gangsters than anything else…

      

    C’est l’idée de Malle, certainement, de montrer que l’occupant assoit son contact avec l’hinterland local en mobilisant des réseaux de malfrats…

    En suivant Jean-Bernard de Voisin dans tout son circuit de magouilles et de combines, Lucien va finir un beau jour par se retrouver dans une sorte de planque genre Annexe d’Anne Frank et y faire des connaissances qui vont enfin faire bouillonner quelque émotion en lui.

    Le récit prend alors toute sa formidable ampleur. Monsieur Albert Horn (campé, dans une prestation absolument extraordinaire, par l’acteur suédois Holger Löwenadler) est un riche tailleur parisien qui sa cache en compagnie de sa mère et de sa fille et espère passer en Espagne (l’Espagne franquiste est «neutre», c’est déjà un peu moins dangereux pour les réfugiés juifs que la France directement occupée).

      

    Jean-Bernard de Voisin extorque petit à petit le riche tailleur en lui faisant miroiter non pas des châteaux mais des refuges en Espagne. Monsieur Horn parle français avec un fort accent mais s’enorgueillit du fait que sa fille (jouée superbement par Aurore Clément) est une vraie française. Sa fille s’appelle d’ailleurs France

      

    Une relation complexe, désaxée, biscornue et douloureuse va alors s’établir entre Albert Horn, France Horn et Lucien Lacombe. C’est le tailleur qui la résumera un jour en disant : Malgré tout, je n’arrive pas à complètement vous détester. Le contraste entre ce jeune homme non dégrossi mais plénipotentiaire, et ces deux bourgeois, raffinés mais complètement aux abois, est saisissant, désarmant, paniquant, terrible. Lucien fait la cour à France et, là aussi, ça déconne complètement. Elle finit par se donner à lui parce qu’elle en a marre d’être juive.

    Ces moments sont époustouflants, extraordinaire, hallucinants, maximalement déroutants.

    Et ici je vais faire une chose que je ne fais pas souvent. Je vais renoncer à vous les résumer.

     

    C’est tout simplement qu’il faut les voir. Il faut s’imprégner de cette cuisante et déroutante ambivalence.

    Il faut aller là où Louis Malle nous entraîne avec ce remarquable quatuor d’acteurs. 

    Un texte discret en point d’orgue du film nous signale que Lucien Lacombe fut éventuellement capturé et fusillé après la libération du sud de la France. Bilan de Mademoiselle Griffith (

    je traduis).

    Le personnage est effectivement ambivalent. Il tue des animaux, abuse de son pouvoir policier, se vautre dans sa petite puissance de toc mais aussi, il est gentil et doux avec sa mère, aime France sincèrement et n’est pas exactement antisémite (il ne comprend rien à tout ce charabia doctrinal obscurantiste et s’en fiche totalement).

    Bon, fondamentalement, il n’est pas sympathique et je ne suis pas d’accord avec ceux qui auraient prétendu qu’il l’était. Il est et reste suprêmement odieux et exécrable, pas parce que c’est un nazi sectaire, comme le sont certains des gestapistes «théoriciens» qu’il côtoie dans cette«police allemande» si franco-française, mais parce que c’est un nazi bête et un enfant dérouté, privé d’une figure paternelle vraiment responsable.

    Ce qu’on nous apprend ici, c’est que le nazisme s’empare de jeunes gens ignorants comme Lucien et, jouant de leur fibre violente tout en les maintenant dans leur infantilisme, endoctrine leur action et meuble leur esprit de sornettes nocives sans les éduquer. Ils sont alors comme des chiens mal entraînés et conséquemment sourdement incontrôlable.

    C’est époustouflant de profondeur et de vérité Il n’y a absolument rien de pronazi là dedans. Je seconde totalement ce commentaire. Trente ans séparent Lacombe Lucien des événements qu’il évoque. Trente-cinq ans le séparent désormais de nous.

      

    Le film n’a pas pris une ride. Sa réflexion est sublimement actuelle, intemporelle en fait.

      

    Tant pour sa qualité artistique, sa cinématographie superbe, sa direction d’acteur magistrale que pour la force d’évocation du drame qu’il impose à notre devoir de mémoire, il est indubitable que Lacombe Lucien est un des chef-d’œuvres du cinéma français.

     

     Paul Laurendeau
    mai 2010

     

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