• Mon grand-père était un soldat allemand, et ma mère une enfant de la honte

    Mon grand-père était un soldat allemand, et

    ma mère une enfant de la honte

     

    Ce n’est qu’à la mort de ma grand-mère, en 2005, que j’ai pu briser le secret porté par ma mère pendant 60 ans : elle était la fille d’un soldat allemand, prisonnier en France pendant la Seconde guerre mondiale.

     

    Paris sous l'occupation allemande, 1944 (LIDO/SIPA)

    Paris sous l'occupation allemande, 1944 (LIDO/SIPA).

     

    J’entreprends alors de retrouver la trace de mon grand-père. Je veux savoir qui il est, ce qu’il fait, est-il encore en vie ? On n’avale pas le non-dit, on le subit. Jusqu’à l’écœurement. Par sa faute, ma mère est le fruit d’un péché originel et moi, le ver obligé de tisser la toile de la vérité. Le grand absent. Le point d’interrogation que je souhaite transformer en exclamation.

     

    Vivre avec un fantôme

     

    J’envoie des mails en anglais à des administrations allemandes, en m’appuyant sur les adresses postales contenues dans ses lettres, seuls indices que j’avais de lui. Après quelques échanges, je le retrouve enfin, alors que pendant 60 ans, ce "Hans K." n’a été qu’un mystère, un inconnu, un simple nom.

     

    J’apprends qu’il est décédé en 1962, soit quand ma mère avait 15 ans. Elle a vécu toute sa vie avec un fantôme. Je fais ces recherches pour trouver des réponses, je me retrouve avec davantage de questions. Je ne saurai jamais s’il avait entrepris des démarches de son côté pour retrouver ma mère. J’apprends que sa femme, en Allemagne, attend un deuxième enfant au moment même où ma grand-mère était enceinte.

     

    J’ai écrit une lettre à sa fille née la même année que ma mère, Irene. Ça a été un choc pour elle, elle ne connaissait pas cette histoire. Quatre ans plus tard, je suis toujours en contact avec cette dernière. On m’a reproché de m’imposer dans une vie, de ne chercher qu’à me décharger. J’ai voulu prouver que ma démarche a eu un côté positif. Irene m’a assuré que mon existence a enrichi sa vie : c’est un secret de famille qui se finit bien.

     

    "Fille de Boche"

     

    Ma mère a été élevée dans le secret de ses origines, et en a été très fragilisée. Elle a été abandonnée par ma grand-mère et élevée par ses grands-parents. Dans les cours de récré, on la traitait de "fille de Boche". J’ai grandi seule avec elle, j’étais la fille qui sèche les larmes de sa mère.

     

    Ma grand-mère est morte avec des souvenirs encombrants qu’elle a tout fait pour garder enfouis jusqu’à la fin. Si elle a gardé son secret jusqu’au bout, nous, la deuxième génération, devons nous libérer de tout ça. Aujourd’hui, peu importe le passé militaire de mes aïeux, je n’ai pas à baisser les yeux. C’est leur histoire, pas la mienne.

     

    Femmes tondues à La Libération, à Paris, dans la rue de Passy, le 25 aout 1944 (LIDO/SIPA).

    Femmes tondues à la Libération, à Paris, dans la rue de Passy, le 25 août 1944 (LIDO/SIPA).

     

    Il n’y a pas de honte à avoir être la petite fille d’un soldat allemand de la Wehrmacht et d'une Française à un poil d’être tondue. Ce qui est honteux, c’est d’avoir pour mère une victime non déclarée de la Seconde guerre mondiale.

     

    Dans les livres d’histoire, en effet, il n’y a pas de place pour les hommes et les femmes comme elle. A peine une note en bas de page et encore. Les enfants de la Wehrmacht n’existent pas. Personne ne veut se souvenir d’eux.

     

    Les enfants de la Wehrmacht oubliés

     

    Pour s’être approchées un peu trop de l’ennemi, quelque 20.000 Françaises ont subi l’une des pires humiliations publiques. Et ma grand-mère aurait dû en faire partie. De ces alliances maudites, 200.000 enfants seraient nés dans l’Hexagone. Un lourd héritage… partagé par de nombreux jeunes de ma génération.

     

    Combien le savent ?

    Mystère.

     

    Combien sont-ils ?

    Difficile à dire précisément.

     

    Si l’on se réfère aux statistiques françaises de natalité, nous sommes peut-être un peu plus de 400 000 aujourd’hui. C’est l’équivalent du nombre d’habitants à Lyon, troisième ville la plus peuplée de France… C’est énorme.

     

    Et personne ne parle de nous.

     

    Personne ne pense à nous comme autre clé possible au devoir de mémoire…

     

     

     

     

    http://leplus.nouvelobs.com/contribution/214055-mon-grand-pere-etait-un-soldat-allemand-et-ma-mere-une-enfant-de-la-honte.html

     

     

     

    « La résistance polonaise (1939 - 1945)Les bordels nazis militaires »
    Partager via Gmail DeliciousGoogle Bookmarks Blogmarks Pin It

    Tags Tags : , , , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires

    Vous devez être connecté pour commenter