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Par Dona Rodrigue le 6 Mars 2015 à 19:53
C'est ce même jour, qu'elle appelle « le jour de la catastrophe », que la Berlinoise anonyme de notre chronique subit le sort du vaincu :
« Dehors, c'est un défilé sans fin ; des juments rebondies, des poulains entre les jambes ; une vache qui réclame en meuglant le trayeur.Voilà qu'ils installent la roulante au garage d'en face. C'est la première fois que nous voyons des figures humaines ; de larges crânes, tondus ras, des gaillards bien nourris, d'humeur joyeuse.
« Mais dans toutes les caves on chuchote, on tremble.Si quelqu'un pouvait décrire la vie grouillante et effrayante de ce monde souterrain, cette vie retirée, divisée en alvéoles, les uns ignorant l'existence des autres! Dehors, le ciel est bleu, sans nuages...
« Je recule vers la cave, traverse la cour intérieure. Il me semble avoir semé le Russe qui me poursuivait. Mais soudain, il se dresse à mes côtés, se glisse avec moi dans la cave. Il titube, éclairant nos visages, un à un, avec sa lampe de poche. La cave se fige en glace... »
Cette femme parle un peu le russe, elle peut s'entretenir avec les vainqueurs. Mais ce jour-là ses connaissances linguistiques ne lui sont d'aucun secours, pour utiles qu'elles se révéleront par la suite.
« Je hurle, je hurle... Derrière moi, la porte de la cave se ferme.L'un d'eux me prend par les poignets et me pousse dans le couloir.
L'autre m'entraîne aussi en appliquant sa main sur ma gorge; je ne peux plus crier, je n'ose plus crier de peur d'être étranglée.
Tous deux me houspillent, voilà que je tombe à terre. Mon trousseau de clefs retentit d'un bruit métallique sur les dalles. Ma tête heurte la marche inférieure, je sens le ciment touchant mon dos.
En haut, devant la porte d'entrée, par où filtre une faible lumière, un des hommes fait le guet... »
Mme J. résume ainsi ses impressions :
Le comportement des soldats soviétiques était ambivalent.Ils n'avaient pas la moindre pitié pour tout être féminin qui tombait entre leurs mains; mais ils prenaient soin des malades et des blessés.Lorsque le professeur Sch. refusa un jour l'accès du bunker à une femme allemande assez gravement blessée parce qu'il ne voyait aucun moyen de la traiter ou de la loger, les Russes insistèrent sur un ton péremptoire et exigèrent que le professeur l'opérât.Les officiers russes étaient pimpants et courtois;les soldats marqués par d'âpres combats, mais ni déguenillés ni sales.Le pire était ces infects Mongols qui nous abordaient sans cesse et que nous ne comprenions pas !
D'un récit que le pasteur Heinrich Grüber a mis à ma disposition, je relève les phrases suivantes :
Nous commençâmes à enlever les barrages antichars et à combler les tranchées.Les vivres encore disponibles furent collectés et rationnés.Pour constituer quelques réserves, des hommes furent chargés de s'emparer des chevaux blessés et de les abattre.
Il fallut bientôt transformer la maison paroissiale en hôpital militaire; dans la demeure de l'Ortsgruppenleiter, on installa une maternité.On y soignait aussi les femmes violées.Les excès se multipliant, j'en appelai au commandant soviétique.On me promit de punir les responsables, mais nous ignorions la plupart du temps leurs noms.Il arrivait aussi que des soldats pris en flagrant délit fussent abattus d'un coup de pistolet par leur officier.Les récits allemands nous fournissent-ils un tableau plus complet, plus véridique?
Oui, je me souviens de l'arrivée des Russes,nous dit Mme P.
Un soldat soviétique grimpa sur les barricades près de la station de métro, Weinmeisterstrasse, et agita un drapeau rouge.
Trois ou quatre Berlinoises lui sautèrent au cou.
Les soldats se précipitèrent dans les caves et se livrèrent au pillage.
Ils emmenèrent aussi des femmes et des jeunes filles, mais ma cadette (17 ans à l'époque) put se cacher.
Dans la maison de derrière on assista bientôt à un vrai trafic de femmes.
Mme J. est depuis 1933 secrétaire de direction dans une clinique de gynécologie de Charlottenburg :
A cette époque, j'étais dans le service du professeur Sch. Pendant trente ans, jusqu'en 1952,
il avait rempli les fonctions de médecin-chef.Le 30 avril 1945 les Russes se présentèrent dans notre villa à Westend et mirent tout le monde dans la rue. Ma mère et moi fûmes accueillies par des amis ; mais d'affreux excès nous obligèrent à nous réfugier dans la clinique.
C'était le ler mai.Les Russes avaient également occupé la clinique et l'on nous conseilla d'aller ailleurs, car les Russes préparaient de grandes festivités. Il était facile de s'imaginer ce qu'ils feraient après avoir bu.
Je réussis à me grimer en petite vieille.
Les malades — il n'y avait plus qu'une douzaine de cas graves — ne risquaient rien, puisqu'elles se trouvaient dans la partie de l'établissement restée clinique ; les autres ailes du bâtiment avaient été transformées en campement.
Ils occupèrent aussi les étages supérieurs, évacués par nous depuis quelque temps à cause des bombardements et de la canonnade.
Une salle de l'établissement servait aux Russes d'écurie. Une autre, d'hôpital militaire. Pendant les toutes premières opérations, nos infirmières devaient tenir des lampes à pétrole. Les soldats russes se présentèrent au bureau de mon père et lui demandèrent :• Toi professeur? »
Ravis d'apprendre qu'il était médecin, ils se firent traiter par lui : leurs maladies vénériennes, dont ils avaient une peur sans bornes, étaient la plupart du temps imaginaires.
On ne se demande jamais qui étaient ces soldats de l'armée Rouge, sans même parler des motifs qui les poussaient à la violence.
Personne n'a jamais entrepris 1 jusqu'à ce jour le moindre effort pour jeter ! quelque lumière sur les faits. Il est courant mais grotesque d'affirmer,
qu'un homme de lettres soviétique d'origine juive du nom d' Ilya Ehrenbourg aurait pu « inciter » les millions de soldats de Joukov et de Koniev
à déshonorer les femmes allemandes.
D'autre part, les citoyens soviétiques qui sont au courant de violences subies par les femmes allemandes de la part de militaires ayant appartenu au ler front deBiélorussie ou au ler front d'Ukraine considèrent qu'il s'agit d'un sujet tabou. Un Allemand entretenant des relations amicales avec un citoyen soviétique au point de discuter avec lui très franchement de toutes sortes de problèmes ne doit pas s'aviser de toucher à ce sujet I
On comprend d'ailleurs qu'un Allemand soit mal placé pour évoquer
ce chapitre en Russie étant donné les atrocités commises dans ce pays.
On peut résumer l'attitude allemande et l'attitude soviétiqueface aux viols de la manière suivante :
pour les Allemands, il n'y avait que cela;
pour les Soviétiques, les viols n'existaient pas.
Vingt ans après la fin de la guerre, on propose toujours, en U.R.S.S., l'image immaculée du combattant de Berlin telle que la Pravda l'avait créée en mai 1945 :le soldat soviétique y faisait figure de héros et de missionnaire appelé à servir de modèle au fasciste corrompu et à ses victimes fourvoyées.
Plusieurs textes affirment que les Berlinoises considéraient les récits de viols par les soldats soviétiques dans les territoires occupés par eux, et surtout en Prusse-Orientale, comme de la propagande nazie, si bien qu'elles étaient mal préparées au danger qui les menaçait.
. On notait que les soldats soviétiques s'acharnaient contre les femmes et jeunes filles surtout pendant les premières heures et les premiers jours de l'occupation; d'autres, en revanche, prétendent que les combattants de la première vague se sont comportés correctement et que ce furent les unités d'occupation qui mirent la ville à feu et à sac.Selon ces derniers témoignages, les journées les plus funestes furent celles qui suivirent les deux premiers jours.
Mais ce n'était certainement pas la règle : tous les témoignages concordent pour affirmer que les premiers soldats de l'armée Rouge se précipitaient déjà, une torche électrique à la main, dans les caves pour s'emparer aussitôt de leurs victimes.
OÙ étaient passés les hommes allemands qui auraient dû défendre leurs femmes? Nous savons que le célèbre acteur Friedrich Kayssler fut abattu d'un coup de pistolet parce qu'il était intervenu contre l'agresseur de sa femme de ménage.Nous savons qu'une demi-douzaine de Berlinois (parmi des centaines d'autres) payèrent leur courage de leur vie.
Nous savons qu'une douzaine d'autres réussirent (en réalité, il y en eut probablement quelques centaines) à préserver leurs femmes et d'autres femmes, en usant de circonspection et de ruse.
Friedrich Luft raconte :
La maison voisine s'était écroulée la veille, fauchée par un obus.Trois personnes avaient péri dans le sous-sol.
J'ignore ce qui nous poussa à les retirer des décombres :
probablement le goût bien connu de l'Allemand pour le travail bien fait. Nous avons donc récupéré les corps pour les déposer dans notre jardin; là nous les avons couverts d'un tapis.
Plusieurs jours de suite, je jouai aux Russes la même comédie macabre :je les conduisais au jardin, pendant que nos femmes se cachaient dans les combles et, retirant le tapis, leur montrais deux cadavres de femmes en éclatant en sanglots.
Je constatais, non sans émotion, que les Russes fondaient également en larmes et m'offraient parfois, en se signant de la croix (qu'ils portaient sur eux),
un simple morceau de pain.
Ensuite, ils s'en retournaient, tout remués, probablement à la recherche d'autres partenaires.
Mais nos femmes durent leur sécurité, du moins momentanée, à ce stratagème.
Nous savons que quelques époux furent forcés d'assister au viol de leurs femmes; on les' laissait parfois en vie, d'autres fois on les tuait.Quelques-uns n'ont jamais surmonté ce traumatisme psychique.
Mais les autres, l'immense majorité des hommes allemands s'abritaient derrière le dos des femmes; certains avaient peur et étaient d'une lâcheté défiant l'imagination ; les femmes avaient peur aussi, mais elles étaient d'un courage exemplaire !C'étaient elles qui sortaient des caves pendant les bombardements et les tirs d'artillerie pour chercher de l'eau, pour faire la queue en quête de quelques vivres.
Avec rien, elles confectionnaient des repas, préparés au feu de bois; elles qui avaient l'habitude de faire la cuisine au gaz et à l'électricité, se mettaient à la recherche de brindilles.Elles cachaient les jeunes filles et les défendaient contre les soldats soviétiques, parfois en se sacrifiant elles-mêmes1) Elles apportaient de la soupe aux hommes alités pour des coliques hépatiques ou néphrétiques qui duraient le temps du danger (les femmes ignoraient ce genre de coliques2) Elles clouaient des planches aux fenêtres sans carreaux; elles déblayaient la ville en gardant dans une certaine mesure leur bonne humeur.SOURCEShttp://www.histoire-en-questions.fr/deuxieme%20guerre%20mondiale/allemagnenazie-chute-berlin-propagandes.html
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