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    Journal du 20 avril au 22 juin 1945

     

    Elle avait une trentaine d’année.

      

    Elle avait parcouru l’Europe avant guerre. Son fiancé l’avait quittée en 1939. Elle travaillait dans l’édition.

     

    Et puis  le 20 avril 1945, 16 heures :

      

    « Oui, c’est bien la guerre qui déferle sur Berlin… ».

     

     

     

    Pas de littérature, même si c’est remarquablement écrit. Pas de niaiseries, pas d’apitoiement, pas de morale à la petite semaine. Non.

      

    La description clinique du quotidien, avec la volonté de témoigner, de jeter sur la feuille blanche des cahiers d’écolier ce que l’on aurait envie de hurler.

     

     

     

    Cette obsession de la faim, commune à tous ceux qui vivent dans la guerre. Mon grand-père, dans les tranchées, lui aussi, était obsédé, pas seulement par les assauts de l’ennemi, par le pilonnage incessant, par la mort toujours possible, mais par le prochain approvisionnement. Est-ce que l’homme de service envoyé à l’arrière reviendrait avec ses bouteillons pleins, ses miches de pain, avec de quoi manger, de quoi boire. C’était tout.

     

    Retour à la vie animale.

      

    Voilà ce que nous enseignent les guerres, nous sommes d’abord des animaux.

      

    Avec l’instinct de survie, à n’importe quel prix, qui commence par la nourriture, puis qui se poursuit dans le durcissement du cœur, et cet entraînement à taire sa compassion pour se concentrer sur l’essentiel. Manger.

      

    Alimenter la machine humaine.

     

     

    Berlin-1945

      

    Bien sûr, il y a les bombardements, les attentes dans les caves. Et puis, le silence, et enfin le bruit des chars qui entrent dans les décombres tandis qu’au loin, ça continue de tirer.

      

    Et les hommes venus du fin fond de la steppe, bien nourris, bien vivants avec leur faim de chair humaine et les viols des femmes comme cela se fait depuis des millénaires dans toutes les guerres.

     

     

    Comment résiste-t-on à la folie de l’humiliation ? Comment est-ce que l’on conserve sa dignité tout en ayant été traitée de femelle à soldats ?

     

    En regardant l’autre tel qu’il est, un soldat comme tous les soldats, un mâle parfois timide, donc brutal, parfois plus raffiné mais en manque de câlin.

      

    En se regardant soi-même telle que l’on est et en acceptant d’être ce que l’on est. En n’oubliant pas ce que l’on était et que l’on pourra redevenir, peut-être, une fois que cette folie aura cessé.

     

     

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    Un récit époustouflant de vérité crue, un document historique incontournable qui fit scandale en 1957 lorsqu’il parut pour la première fois en Allemagne.

      

    Son auteure était trop « moderne », trop en avance sur son temps, trop vraie, trop lucide.

      

    Ne serait-ce que par le regard qu’elle porte sur ses voisins, sur les allemands, sur les hommes et sur les femmes en général. Et puis, cette absence de haine que sa raison lui commande de conserver en toute circonstance, justement pour ne pas devenir une chose, une bête.

     

    Or, la guerre se porte plutôt bien un peu partout dans le monde.

     

      

    Et que ce soit en Irak, en Afghanistan, en Somalie, au Soudan, dans les pays africains et même, il n’y a pas si longtemps, en Europe, dans l’ex-Yougoslavie, nous avons assisté aux mêmes scènes que vécurent les berlinoises, qu’avaient vécues les russes, les polonaises, les grecques, les ukrainiennes, les françaises, les italiennes, toutes les femmes des pays en guerre et soumises aux caprices des vainqueurs.

     

     

    Et puis, il y a cette dénonciation inscrite entre les lignes de cette vaste hypocrisie des hommes, de ces aryens qui se croyaient supérieurs et dont on abuse de leurs femmes sans qu’ils ne réagissent, anéantis, soumis, écrasés par leur propre folie et dont ils ne pourront jamais se remettre.

      

    Car, en vérité, ce sont les femmes, qui, dans les conflits, sont toujours les plus courageuses.

      

    Et cela, en 1957, même certaines femmes n’étaient pas prêtes à le reconnaître.

     

     

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    C’est ce qui donne sa dimension universelle à ce récit dont nous ignorons le nom de l’auteure en espérant qu’elle eut une vie après les épreuves, avec mari et enfants, voire petits-enfants.

      

    Ce qui est moins sûr.

     

     

     

     

     

     

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