À Limoges, comme dans toutes les villes qui connaissent l'occupation allemande, tout ce qui est « juif », « nègre » et « américain » est banni.
Les contrevenants à cette loi édictée par le régime de Vichy le font à leurs risques et périls.
Jean-Marie Masse et ses amis n'hésitent pourtant pas à passer outre les interdictions en inventant une résistance culturelle aussi originale que dangereuse.
En 1941, Jean-Marie Masse est déjà un puits de connaissances sur le jazz : il se déclare apte à en parler et à l'enseigner. En mai 1941, il anime à la Salle Berlioz une conférence ayant pour thème : Le hot-jazz ou musique pure du XX e siècle .
Membre du Hot-Club de France et de Suisse – c'est-ce que précise l'affiche –, Jean-Marie Masse pose les bases, jusque-là si peu connues, de la véritable musique de jazz.
Il fournit des définitions précises de l'armature stricte de cette musique qui, si elle obéit à des lois mystérieuses, n'en a pas moins des composantes variables.
« Le conférencier » dit le programme, « s'efforcera de faire saisir à l'auditeur toute la poésie pure que contient cette explosion musicale et le mettra dans la disposition nécessaire pour recevoir l'offrande de cette musique ». Le public assistera lors de ces soirées à une célébration dédiée au dieu jazz.
Pour donner plus de poids et de force à son propos, Jean-Marie Masse accompagne sa prestation d'auditions de disques.
Sur le plan jazzistique, c'est là que tout a commencé et que les plus belles pages de l'histoire du jazz à Limoges se sont écrites.
Dans cette salle à l'Italienne dont l'acoustique vient d'être refaite, Jean-Marie Masse est très attendu. Il anime une série de quatre conférences, une par semaine.
La première est programmée le 6 mai 1941. Il y reviendra le 13, le 20 et le 27 mai : à chaque fois, la salle est bondée.
Lors de ces causeries, il retrace l'épopée des noirs américains, illustre ses propos de morceaux appropriés.
« A bas la musique
de nègre »
Deux de ces réunions furent particulièrement houleuses.
Des énergumènes, intoxiqués par la propagande gouvernementale se mettent à hurler : « A bas la musique de nègre ! À bas les juifs et les Américains ».
Prôner cette musique représente à leurs yeux un blasphème. Jean-Marie Masse ne réagit pas à ces quolibets et poursuit son exposé.
Les débats vifs et passionnés attirent l'attention de Simone Dubreuil. Correspondante du quotidien nationalParis Soir est impressionnée par la tournure que prennent ces réunions. Elle publie dans les colonnes de son journal un article intitulé A Limoges on se bat pour ou contre le jazz, qui fera parler la France entière.
1941
Les conférences sur le jazz des 20 et 27 mai suscitent des réactions : Jean-Marie Masse est traqué par la Gestapo. Président du Hot-Club de France, Hugues Panassié l'accueille chez lui à Montauban. Le jeune homme y séjourne quelques mois, histoire de se faire oublier, après avoir pris soins de mettre sa famille à l'abri.
1942
Une fois les esprits apaisés, Jean-Marie Masse revient dans la région. Il se réfugie à Panazol, chez son ami Fabien Lamaud et là il peaufine ses connaissances.
1943
En dépit de la condamnation de la musique noire américaine, les autorités occupantes se plaisent à fréquenter les cabarets parisiens. Il n'est pas rare de rencontrer en ces lieux des soldats ou des officiers.
Publication. « On met des disques aux enchères, et le produit va aux prisonniers noirs. Limoges n'est plus la ville des porcelaines, elle est devenue un temple de la musique. Un temple où on se bat, comme on se battait jadis à Paris pour ou contre Alfred Jarry, pour ou contre Marianne Oswald, pour ou contre le douanier Rousseau. La responsabilité de ce charivari revient au peintre Jean-Marie Masse. Il a fait venir à Limoges, sa discothèque, l'une des plus complète de France en ce qui concerne au moins le jazz. Jean-Marie Masse nourrit pour ces chants de la Louisiane ou du Mississippi une tendre passion. Passion qu'il essaye de faire partager au public. C'est pour cela qu'il a organisé au théâtre Français, (autre nom de la salle Berlioz) quatre auditions qu'accompagne une causerie sur l'art de la musique nègre. Les uns applaudissent, les autres huent. »
Le Théâtre des années 1900. Le Théâtre Berlioz, situé place de la République, fut inauguré en 1840. Il permettait d'accueillir 800 spectateurs et même 900, après transformations. Dès 1880, il s'avère trop petit. La population limougeaude ne cesse d'augmenter. Au début du XX e siècle, les critiques pleuvent : les murs s'effritent, l'escalier vermoulu est jugé dangereux, des plus incommodes. Les spectateurs ne supportent plus l'acoustique, la fournaise pestilentielle et l'exiguïté de la scène. Dépoussiéré en 1908, embelli en 1911, le théâtre devient en 1932 – après la mise en service du Cirque Théâtre – la « Salle Berlioz ». Laquelle sera finalement démolie en 1958.
la semaine prochaine.
À l'instar de Jean-Marie Masse,
Edouard Ruault
[le nom de baptême d'Eddie Barclay, ndlr]
se moque des interdictions et organise sous l'Occupation des soirées clandestines où la jeunesse zazou vient écouter,
entre autres, Django Reinhardt.
Différents, Édouard et Jean-Marie partagent pourtant de nombreux points
communs et tissent de solides liens d'amitié.
SOURCES
http://www.lepopulaire.fr/limousin/actualite/departement/haute-vienne/2015/07/30/sous-loccupation-jean-marie-masse-organise-des-conferences-qui-font-polemique_11536213.html