• L'ARMEE du CRIME

     "L'Armée du crime", le film

     
      .


    du film de Robert Guédiguian
    "L'Armée du crime"
     
    en association avec l'IMAJ
    Institut de la Mémoire Audiovisuelle Juive

    C'est le monde à l'envers sur ce blog. S'y suivent sans évidemment se ressembler de tristes caravanes de films dont seul un accident imprévu pourrait par extraordinaire les dévier des circuits commerciaux pour leur offrir quelques détours par nos coins ignorés.
    Or voici un film dont les projections ne débuteront en France que le 16 ou le 19 septembre (selon des sources contradictoires). Mais avec une avant-première dans l'agglomération bruxelloise. Pas trop loin d'ici, en Ardennes de France, où nous rions néanmoins sans avoir l'accent ni subir les mesquineries linguistiques de là-bas. Mais ça change des temples et des marchands de l'industrie cinématographique qui confondent la France avec le nombril du monde. Et ce nombril avec Paris et uniquement quelques villes d'en haut. 
    Inutile de préciser que les échos ce long métrage sont actuellement limités à ceux du dernier Festival de Cannes (où ce film fut présenté hors compétition). 
    Reste le sujet qui nous tient à coeur : le groupe FTP-MOI (1) de Missak Manouchian. Et pour cette histoire, une seule page de ce blog ne représentera jamais que le minimum minimorum.
     
    Synopsis :

    - "Dans Paris occupé par les allemands, l'ouvrier poète Missak Manouchian prend la tête d'un groupe de très jeunes juifs, Hongrois, Polonais, Roumains, Espagnols, Italiens, Arméniens, déterminés à combattre pour libérer la France qu'ils aiment, celle des Droits de l'Homme. Dans la clandestinité, au péril de leur vie, ils deviennent des héros. Les attentats de ces partisans étrangers vont harceler les nazis et les collaborateurs. 

    Alors, la police française va se déchaîner, multiplier ses effectifs, utiliser filatures, dénonciations, chantages, tortures... Vingt-deux hommes et une femme seront condamnés à mort en février 1944.
    Dans une ultime opération de propagande, ils seront présentés comme une "Armée du crime", leurs visages en médaillon sur un fond rouge placardés sur les murs de toutes les villes du pays. Ces immigrés, morts pour la France, entrent dans la légende. C'est cette belle et tragique histoire que raconte le film."
     
     Photo du film avec l'acteur Simon Abkarian. En médaillon : authentique cliché d'identification judiciaire de Missak Manouchian (Mont. JEA / DR). (2)
     
    A propos de ce 16e film, Robert Guédiguian : 
     
    - "L'Arménien Manouchian, l'occupation allemande (ma mère est née en Allemagne), et le communisme, ces trois éléments réunis me touchaient sans doute de trop près. 
    Depuis que je suis né, j'ai toujours entendu parler de Manouchian. Il fait partie du Panthéon des grands héros résistants communistes. Je me souviens en particulier d'avoir lu quand j'étais gamin la lettre qu'il a écrite avant de mourir. Que Manouchian y dise "Je meurs sans haine pour le peuple allemand" me réconfortait sur mes deux origines et sur l'humanité en général. 
    Donc, parce que tout cela m'était trop proche, ce n'est pas de moi qu'est venue l'idée de faire ce film, mais de Serge Le Péron (3)."

     

    Interview du réalisateur par Le Figaro lors du Festival de Cannes.

    Jean-Luc Drouin :
     

    - Avec L'Armée du crime, présenté hors compétition à Cannes, Robert Guédiguian a fait un choix périlleux : la reconstitution d'une page mi-douloureuse, mi-glorieuse de la seconde guerre mondiale.
    A Paris, pendant l'occupation allemande, le poète arménien Missak Manouchian est chargé par l'Internationale communiste de constituer un groupe de combattants pour participer à la libération de la France. Autour de lui militent clandestinement de jeunes étrangers, Hongrois, Polonais, Roumains, Espagnols, Italiens. Après la distribution de tracts "contre les salopards", ils passent aux attentats contre les nazis...
    (Le Monde, 18 mai 2009).


    Photo du film. En médaillon, quelques membres du groupe Manouchian sortis dans une cour de la prison de Fresnes pour des portraits en prévision de l'affiche rouge (Mont. JEA / DR).
     
    Latribune.fr :

    - "C'est l'histoire de cette "armée du crime", comme l'appelait Vichy, que raconte avec force Robert Guédiguian dans un film projeté hier hors compétition. Le réalisateur revient sur le courage de ces hommes et de ces femmes qui étaient prêts à mourir pour un pays qui n'était pas le leur mais qui avait su les accueillir. Le cinéaste souligne également l'implication de la police française chaleureusement félicitée par les nazis pour avoir menée seule la rafle du Vel D'hiv et l'arrestation du réseau Manouchian.
    Guédiguian s'attache plus particulièrement à la figure de ce dernier, préférant brosser le portrait d'un homme plus que celui d'un héros. Ce qui donne lieu à des scènes magnifiques comme celle où Manouchian revient sur le lieu de son premier attentat et pleure à l'idée qu'il est passé dans le camp des combattants, conscient qu'il ne pourra plus jamais en ressortir. 

    C'est peut-être ici l'une des œuvres les plus personnelles de Robert Guédiguian dont le père était communiste et arménien. L'une des plus ambitieuses aussi. L'une des plus classiques assurément, ce qui sied parfaitement au sujet."
    (17 mai 2009).

     
    Christophe Kantcheff :

    - "Pas facile de faire un film à la hauteur d’un si grand sujet. Si Robert Guédiguian y parvient, c’est précisément parce qu’il ne le traite pas comme un objet patrimonial et solennel. Tout en refusant les analogies explicites et les raccourcis faciles, et en respectant scrupuleusement le sens de l’histoire et les spécificités de la période de l’Occupation, le cinéaste montre ses personnages – Missak Manouchian (Simon Abkarian) et sa femme (Virginie Ledoyen), Thomas Elek (Grégoire Leprince-Ringuet), Marcel Rayman (Robinson Stévenin), et tous les autres –, avec une familiarité qui nous les rend proches. 

    On les voit chez eux avec leurs parents, dans le quartier de Paris où ils vivent, on éprouve en même temps qu’eux leur indignation, leur colère face aux discriminations et aux crimes perpétrés par les occupants et leurs complices français, et l’inéluctabilité de leur engagement dans la lutte armée. 
     

    Bref, le temps du film, le spectateur entre en résonance avec l’énergie passionnée de justice fraternelle des personnages, par la grâce d’un cinéaste qui n’aime rien tant que la fluidité et le sentiment d’évidence.
    (Politis, 17 mai 2009).

     Titres de la presse parisienne. Avec ses thèmes privilégiés : dénoncer les étrangers, les avilir ("cette tourbe internationale"), traiter des résistants en "terroristes" mercenaires (Mont. JEA / DR).

    Virgile Dumez :

    - "1944, les services de propagande franco-allemands éditent à plus de 15 000 exemplaires l’ « affiche rouge » qui présente à la population française des terroristes juifs et immigrés menés par le terrible chef de gang Manouchian. 

    Derrière cette vaste opération de communication se cache en réalité une volonté de lutte contre les mouvements de résistance qui gagnent peu à peu du terrain dans cette France occupée. En tournant le scénario original de Serge Le Péron (réalisateur de J’ai vu tuer Ben Barka), le cinéaste Robert Guédiguian s’attaque pour la première fois à un sujet historique nécessitant une reconstitution de grande ampleur. 
    Le résultat, très classique dans sa forme, tient toutefois ses promesses grâce à une description nuancée de l’Occupation."
    (avoir-alire, 2 août 2008).


    Pour compléter cette page, deux documents d'archives.
    A commencer par la dernière lettre de Missak Manouchian :


    21 février 1944, Fresne

    Ma chère Méline, ma petite orpheline bien aimée. Dans quelques heures je ne serai plus de ce monde. On va être fusillé cet après midi à 15 heures. Cela m’arrive comme un accident dans ma vie, j’y ne crois pas, mais pourtant, je sais que je ne te verrai plus jamais.

    Que puis-je técrire, tout est confus en moi et bien claire en même temps. Je m’étais engagé dans l’armée de Libération en soldat volontaire et je meurs à deux doigts de la victoire et de but. Bonheur ! à ceux qui vont nous survivre et goutter la douceur de la Liberté et de la Paix de demain. J’en suis sûre que le peuple français et tous les combattants de la Liberté sauront honorer notre mémoir dignement. Au moment de mourir je proclame que je n’ai aucune haine contre le peuple allemand et contre qui que ce soit. Chacun aura ce qu’il meritera comme chatiment et comme recompense. Le peuple Allemand et tous les autres peuples vivront en paix et en fraternité

    après la guerre qui ne durera plus longtemps. Bonheur ! à tous ! — J’ai un regret profond de ne t’avoir pas rendu heureuse, j’aurais bien voulu avoir un enfant de toi comme tu le voulais toujours. Je te prie donc de te marier après la guerre sans faute et avoir un enfant pour mon honneur et pour accomplir ma dernière volonté. Marie-toi avec quelqu’un qui puisse te rendre heureuse. Tous mes biens et toutes mes affaires je lègue à toi et à ta sœur et pour mes neveux. Après la guerre tu pourra faire valoir ton droit de pension de guerre en temps que ma femme, car je meurs en soldat regulier de l’Armee française de la Libération. Avec l’aide des amis qui voudront bien m’honorer tu feras éditer mes poèmes et mes ecris qui valent d’être lus. Tu apportera mes souvenirs si possibles, à mes parents en Arménie. Je mourrais avec mes 23 camarades toute à l’heure avec courage et serénité d’un homme qui a la conscience bien tranquille, car personnellment, je nai fais mal à personne et si je lai fais, je l’ai fais sans haine. Aujourd’hui il y a du soleil. C’est en regardant au soleil et à la belle nature que jai tant aimé que je dirai Adieu ! à la vie et à vous tous ma bien chère femme et mes bien chers amis. Je pardonne à tous ceux qui m’ont fait du mal où qui ont voulu me faire du mal sauf à celui qui nous à trahis pour racheter sa peau et ceux qui nous ont vendu. Je t’embrasse bien fort ainsi que ta sœur et tous les amis qui me connaisse de loin ou de près, je vous serre tous sur mon cœur. Adieu. Ton ami Ton camarade Ton mari Manouchian Michel.

    P.S. J’ai quinze mille francs dans la valise de la Rue de Plaisance.
    Si tu peus les prendre rends mes dettes et donne le reste à Armène. M.M. (4)

    Le registre allemand avec la transcription des 23 noms de condamnés à mort du groupe Manouchian :
     

     

    Leurs noms et leurs origines :
     
    Célestino ALFONSO (Espagnol),
    Olga BANCIC (Roumaine),
    Joseph BOCZOV (Roumain),
    Georges CLOAREC (Français),
    Rino DELLA NEGRA (Italien),
    Thomas ELEK (Hongrois),
    Maurice FINGERCWAJG (Polonais),
    Spartaco FONTANO (Italien),
    Jonas GEDULDIG (Polonais),
    Emeric GLASZ (Hongrois),
    Léon GOLDBERG (Polonais),
    Szlama GRZYWACZ (Polonais),
    Stanislas KUBACKI (Polonais),
    Arpen LAVITIAN (Arménien),
    Césare LUCCARINI (Italien),
    Missak MANOUCHIAN (Arménien),
    Marcel RAYMAN (Polonais),
    Roger ROUXEL (Français),
    Antoine SALVADORI (Italien),
    Willy SZAPIRO (Polonais),
    Amédeo USSEGLIO (Italien),
    Wolf WAJSBROT (Polonais),
    Robert WITCHITZ (Français).
     
    Tous ont été fusillés au Mont Valérien le 21 février 1944 à l'exception de la seule femme du groupe, Olga Bancic. Cette résistante fut transférée à Stuttgart pour y être décapitée à la hache, le 10 mai 1944, jour de son 32e anniversaire.

    Objet d'un kolossal effort de propagande des occupants et de Vichy : l'affiche rouge censée stigmatiser "l'Armée du crime". Des "libérateurs" ? Oui. Et des "morts pour la France" :

    Louis Aragon, Strophes pour se souvenir :

    Vous n'avez réclamé ni gloire ni les larmes

    Ni l'orgue ni la prière aux agonisants
    Onze ans déjà que cela passe vite onze ans
    Vous vous étiez servis simplement de vos armes
    La mort n'éblouit pas les yeux des Partisans

    Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes
    Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants
    L'affiche qui semblait une tache de sang
    Parce qu'à prononcer vos noms sont difficiles
    Y cherchait un effet de peur sur les passants
     
    Nul ne semblait vous voir Français de préférence
    Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant
    Mais à l'heure du couvre-feu des doigts errants
    Avaient écrit sous vos photos MORTS POUR LA FRANCE
     
    Et les mornes matins en étaient différents
    Tout avait la couleur uniforme du givre
    A la fin février pour vos derniers moments
    Et c'est alors que l'un de vous dit calmement
    Bonheur à tous Bonheur à ceux qui vont survivre
    Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand
     
    Adieu la peine et le plaisir Adieu les roses
    Adieu la vie adieu la lumière et le vent
    Marie-toi sois heureuse et pense à moi souvent
    Toi qui vas demeurer dans la beauté des choses
    Quand tout sera fini plus tard en Erivan
     
    Un grand soleil d'hiver éclaire la colline
    Que la nature est belle et que le coeur me fend
    La justice viendra sur nos pas triomphants
    Ma Mélinée ô mon amour mon orpheline
    Et je te dis de vivre et d'avoir un enfant
     
    Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent
    Vingt et trois qui donnaient le coeur avant le temps
    Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant
    Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir
    Vingt et trois qui criaient la France en s'abattant. (5)

     
    NOTES :

    (1) Francs-Tireurs et Partisans de la Main d'Oeuvre Immigrée. Outre le groupe parisien, se sont distingués la compagnie Marat à Marseille, la 35 brigade du Toulousain, le groupe Carmagnole et Liberté à Lyon ainsi qu'à Grenoble.
     
    (2) A propos des montages photos déjà publiés ici, une joyeux blogueur s'exclame sur son site : "un stalinien à sa façon, qui n'hésite pas à truquer les photos". Sans citer un seul exemple précis et forcément sans apporter l'ombre d'une preuve. Voilà un procès d'intention si pas un procès... stalinien !
     
    (3) Réalisateur de :
    Laisse béton, 1984 ;
    L'Affaire Marcorelle, 2000 ;
    J'ai vu tuer Ben Barka, 2005 ;
    Françoise Dolto, le désir de vivre, 2008.

    (4) L'orthographe de l'original a été respectée. Même si d'aucuns préfèrent une correction de cette lettre avant sa publication (cf Seghers).

    (5) Louis Aragon, le Roman inachevé, 1956.

    « JEAN COCTEAU Les ARTS sous l'OCCUPATION »
    Partager via Gmail DeliciousGoogle Bookmarks Blogmarks Pin It

    Tags Tags : , , , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires

    Vous devez être connecté pour commenter