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La terrible humiliation des femmes tondues
La terrible humiliation des femmes tondues
Publié le 26/08/2001
Tarn - TARN : Après la Libération d'Albi, le 26 août 1944
La terrible humiliation des femmes tondues DDM
Comme le précise la légende au dos d'une des photos d'époque, c'était à « Albi, samedi 26 août 1944 à 19 heures. Les femmes ayant pratiqué la collaboration horizontale sont tondues sur le Vigan. » Sur les photos, on voit ces femmes, mises à genoux comme en signe d'expiation.
Au nombre de neuf sur les photos, la plupart sont jeunes, parfois belles. Deux hommes, l'un avec une blouse blanche de coiffeur, l'autre vêtu d'une sorte d'uniforme, leur rasent les cheveux aux ciseaux. L'une, déjà tondue, sa chevelure éparpillée autour d'elle, échange un regard avec une autre, qui y passe.
Sur une autre image, prise quelques minutes auparavant, on aperçoit la même debout, bras croisés, attendant son tour.
C'est une jolie brune coiffée avec art, avec une robe blanche qui lui arrive aux genoux.
Une autre, vêtue de sombre, aux cheveux tirés en arrière avec une raie au milieu, passe sa main gauche sur le visage, comme pour écraser une larme.
Tout autour, la foule. Surtout des hommes jeunes. Beaucoup arborent un béret sur la tête et la cigarette ou la pipe au bec.
Rigolards, ils ont l'air de s'amuser beaucoup.
Quelques uns ont un fusil.
A l'arrière- plan, quatre individus sont montés sur quelque chose pour mieux profiter du spectacle.
Cette scène, dont le 26 août 2001 marque le 57e anniversaire, Yves Bénazech, 89 ans, est un des derniers témoins à pouvoir la raconter.
L'auteur du livre « Les Terroristes de l'Espérance », chronique du Tarn sous la Résistance, le fait volontiers, pour l'Histoire.
C'est important pour les générations futures d'expliquer ce qui s'est passé, sur cet épisode peu glorieux de la Libération, comme sur d'autres qui le furent davantage.
La tonte des femmes a marqué les esprits.
Il faut dire ce qu'il en fut réellement.
« Déchainements »
Cet événement sinistre s'est inscrit dans les journées troublées qui ont suivi la Libération d'Albi le 19 août 1944. Avec la liberté retrouvée, relate Yves Bénazech, « tous les déchainements ont été rendus possibles.
Pendant 15 jours à trois semaines, ce fut la pagaïe.
C'était fou. N'importe qui faisait n'importe quoi.
C'était avant que les autorités soient remises en place, avec la nomination d'un préfet, des consignes précises données aux policiers et l'aide des chefs de maquis, qui ont participé à remettre de l'ordre.
Au début, il sortait des gens avec des galons de partout, que l'on surnommait les naphtalinards.
Des types qui n'avaient rien foutu pendant la Résistance ont sorti l'uniforme.
Avant la Libération, on était 2.500 au maquis.
Cinq ou six jours après, on était 10.000 environ.
Des gens que l'on n'avait jamais vus jusque là sont apparus.
Tout un tas de gens qui s'étaient compromis se sont dépêchés de se mettre en avant à la Libération. »
Les femmes tondues ne furent pas les seules victimes de ces exactions.
« Il y a eu des gens tués, on se demande pourquoi.
Parfois par jalousie ou par vengeance.
Pour leur prendre leur femme...
C'est facile quand on a une arme à la main, si on n'est pas bien équilibré. »
Yves Bénazech met la tonte des femmes sur le compte de ces éléments incontrôlés.
Il ne nie pas que des vrais résistants aient pu figurer dans la foule du Vigan:
« Certains en étaient capables. Mais ce n'était pas des ordres donnés par la Résistance.
C'était des actes individuels. Des individus sont allés ramasser des femmes, celles dont ils considéraient qu'elles allaient avec les Allemands.
Certaines couchaient avec des officiers.
Mais il y en avait certainement d'autres qui n'avaient rien fait. Ils sont allés les chercher chez elles. Ils en ont pris d'autres au Bon-Sauveur, parmi les internées. »
Yves Bénazech en connaissait quelques unes de vue, mais ne leur avait jamais parlé.
Ce jeune policier était entré au commissariat d'Albi en 1942.
En tant qu'agent, il participait à des gardes devant les bâtiments allemands, comme la feld-gendarmerie, rue Séré-de- Rivières.
« Le soir, on voyait ces femmes entrer... »
Les femmes tondues « n'étaient pas des prostituées.
C'étaient des femmes libres qui s'étaient mêlées aux Allemands.
Les prostituées n'ont pas été inquiétées.
De leur part, on considérait que c'était normal.
Elles étaient dans des bordels.
Il y en avait un derrière le marché couvert, rue Athon,
il me semble »,
se souvient Yves Bénazech.
Le soir du 26 août 1944, la place était noire de monde « comme tous les jours. Il se passait sans cesse des choses » dans l'effervescence de la Libération. « Le coiffeur du coin avait été réquisitionné.
On lui avait demandé de couper les cheveux aux femmes. » Ensuite, leurs tourmenteurs leur avaient peint une croix-gammée sur le crâne nu et les avaient faites poser, à genoux, alignées l'une à côté de l'autre.
Yves Bénazech parle d'un accès « de bestialité ». Il est très dur envers ses auteurs. « C'est désastreux ce qu'ils ont fait.
Ils adoptaient les méthodes des nazis. Si on recommence à faire ce que les Allemands faisaient, ça ne va plus. On ne s'était pas battus pour ça », dit cet ancien résistant. « Tondre les femmes, c'est une drôle d'humiliation.
La dignité humaine ne comptait plus. »
A l'époque, Yves Bénazech était de retour au commissariat après son passage dans le maquis. Alors âgé de 30 ans, il était chargé de récupérer du matériel et des gens présumés coupables. Quelqu'un, dans la foule qui assistait à la tonte des femmes, l'avait prévenu ainsi que Charles d'Aragon, le vice- président du Comité départemental de la Libération (CDL). Ils sont intervenus pour arrêter ça.
« D'Aragon avait l'autorité pour le faire. Il a pris les ciseaux du coiffeur.
Il a gueulé. Il a dit que c'était indigne. Il leur a fait lâcher les femmes.
On les a libérées et on les a renvoyées sans les embêter.
La foule s'est dispersée. »
Ceux qui les avaient tondues n'ont pas été poursuivis. « Elles ont marché avec les boches. On les tond », déclaraient-ils. « Ils trouvaient ça normal. » Yves Bénazech pense « qu'il y a dû avoir des larmes » chez leurs victimes même s'il n'en a pas vu. « A Toulouse, ils les avaient fait défiler nues. Il y en a une qui s'est suicidée après. »
Plus tard, Yves Bénazech a croisé une ou deux de ces femmes dans les rues d'Albi. Il ne sait pas ce qu'elles sont devenues.
Alain-Marc DELBOUYS.
André, 74 ans: « Ce n'était pas très glorieux »
«Je passais. Je n'ai pas participé ni rien. Je l'ai vu », confie André, 74 ans, de Saint- Juéry. Agé alors de 17 ans, il a assisté à l'épisode des femmes tondues sur le Vigan le 26 août 1944. La place d'Albi était « toujours pleine les premiers temps après la Libération. Il y avait tellement de monde » que le jeune homme d'alors n'a eu qu'une vision partielle de la scène.
Mais il assure que « ce ne sont pas des militaires qui ont fait ça. Il n'y en avait aucun. C'était des civils. Les filles étaient jeunes. Elles avaient 25 ans au maximum, même moins. L'ambiance était assez difficile à décrire. Cela a été fait de manière sauvage. »
André l'interprète comme « une ruée », dans laquelle ces filles se sont trouvées prises.
« Ce sont certainement des vengeances de voisinage, émanant peut-être de gens qui auraient voulu se payer ces filles. Je ne pense pas que c'était des filles de haute moralité. Ce n'étaient pas des prostituées, plutôt des filles faciles. »
« HONTE POUR EUX »
Selon André, elles étaient plus de neuf, plutôt une quinzaine. « Sur les photos, elles n'y étaient pas toutes. Cela s'est peut-être fait en plusieurs endroits. »
Il se souvient en effet d'avoir ensuite, en tant que militaire, avoir gardé des femmes tondues à l'hôpital, « pour les protéger et pour les empêcher de partir ». Cinquante sept ans plus tard, André estime qu'il n'est « pas là pour juger. Mais ce n'est pas très glorieux pour ceux qui ont tondu ces femmes.
Les Albigeois ont leur mea culpa à faire.
Plus tard, cela s'est reproduit sur l'île d'Oléron sur des jeunes filles.
C'était des soldats de mon groupe qui l'avaient fait.
J'avais honte pour eux. Après, je suis allé m'excuser auprès des parents.
Nous étions des libérateurs, pas des justiciers. »
A.-M. D.
Robert, 80 ans: « Elles allaient avec l'ennemi »
Robert Ruffel, 80 ans, de Saint-Juéry, n'était pas sur le Vigan le 26 juin 1944.
Mais il connaissait une des filles tondues à la Libération.
« Elle habitait rue de la Rivière à Albi. Elle avait 20 ou 25 ans.
On se tutoyait.
Pendant l'Occupation, elle se baladait avec un Allemand. »
Après la Libération, pour masquer sa chevelure perdue, la jeune femme
« portait un foulard, comme toutes ».
Il n'en a jamais parlé avec elle, mais Robert Ruffel pense que « ça a été terrible » pour cette fille « connue dans Albi. Ce n'était pas une prostituée.
C'était une fille sérieuse. Et puis il a fallu cette saleté de guerre...
Après qu'elle ait été tondue, ça été fini. Elle était devenue très maigre. Elle est morte peut-être une dizaine d'années après. »
Il suppose que c'était « de chagrin ».
Pourtant, l'octogénaire n'est pas tendre envers ces femmes qui « faisaient » avec les Allemands, avec qui elles « se promenaient bras dessus, bras dessous.
Elles s'affichaient avec l'ennemi. Je dis que ceux qui les ont tondues ont bien fait. »
« Leur table était garnie... »
« Ce n'était pas normal d'aller avec les Allemands, ajoute Evelyne Ruffel, l'épouse de Robert. Elles, elles avaient tout ce qu'elles voulaient, et nous, on crevait de faim. Quand on n'avait plus de pain, elles avaient tout ce qu'il fallait sur la table.
En plus, nos maris risquaient leur vie.
-Au STO, où j'ai passé trois mois, on s'est retrouvé un jour avec un pétard sur le ventre, simplement parce qu'on s'abritait de la pluie.
Ça ne fait pas plaisir », fait valoir Robert. « Et ceux qui ont été torturés?
C'est pire que de se faire couper les cheveux.
Si on m'avait donné à choisir, j'aurais dit: Rasez-moi la tête! »
Peut-être que la femme qu'il connaissait agissait par amour?
« Ne dites pas n'importe quoi », dit Robert, pour qui elle était plutôt motivée
« par la faim ».
A.-M. D.
SOURCES
Tags : femme, tondu, liberation, ans, avaient
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