LE PASSÉ COLLABO DE LA MAISON VUITTON
Vichy, la ville où Madame de Sévigné, la célèbre épistolière, venait déjà prendre les eaux au XVIIe siècle, vit s’ouvrir, en 1926, une boutique Vuitton.
En pleines Années folles, quand la cité thermale était à la pointe de la mode et du luxe.
Pas n’importe où, au pied du palace le plus en vue de la ville :
l’hôtel du Parc.
Celui-là même que, quatorze ans plus tard, le gouvernement du maréchal Pétain devenu chef de l’Etat français viendra occuper pendant toute la durée de la Collaboration.
Des quelques boutiques qui occupent alors le rez-de-chaussée, une seule
aura l’autorisation de rester, Vuitton.
Les Saada et Lévy qui y possédaient un commerce de tapis seront chassés,
comme les joailliers Van Cleef & Arpels
et le magasin de nouveautés Barclay.
A leur place, on installera le bureau de Documentation et de Propagande du nouveau régime. Alors pourquoi la boutique Vuitton a-t-elle été la seule épargnée ?
Le patron de la Maison, Gaston-Louis, petit-fils du fondateur, est un « bon français », acquis aux idées du Maréchal,
rapporte-t-on au Dr Ménétrel, son secrétaire particulier.
Par ailleurs, le savoir-faire Vuitton, basé sur l’artisanat et le travail manuel, rejoint une certaine idée du travail promue par la Révolution nationale.
Henry Vuitton, le fils, gérant de cette boutique, est donc le bienvenu.
Ainsi, assez étrangement, le nom Louis Vuitton inscrit en lettres noires sur les vitrines extérieures du rez-de-chaussée du palace fera partie du décor
sinistre de Vichy durant quatre ans.
De ce rare « privilège », Gaston-Louis flaire l’opportunité commerciale à même de faire survivre l’entreprise tout en partageant l’idéologie pétainiste, comme nombre de grands patrons trouvant là leur revanche sur les événements de 1936.
L’usine d’Asnières est réquisitionnée par les Allemands et « produit pour l’Occupant » quand la boutique de Londres l’est par les autorités britanniques.
La famille est repliée à Nice où elle possède une autre boutique.
Le Maréchal Pétain devant l'Hôtel du Parc.
Magasin Louis Vuitton. 1943
Le commerce du luxe est globalement sinistré.
Mais, par de bienveillantes entremises, la Maison Vuitton se retrouve à produire en série des objets artistiques à la gloire de Pétain dont les bustes officiels, sur commande du bureau de Documentation et de Propagande qui gère l’image du Maréchal.
et participe officiellement au déplacement du Chef de l’Etat le 1er mai suivant à l’occasion de la fête du Travail. Gaston lui-même est reçu quelques jours plus tard à l’hôtel du Parc pour parler affaires avec la garde rapprochée du Maréchal.
En avril 1943, Gaston réinstalle sa famille à Paris, divisée comme beaucoup en France avec ses deux plus jeunes fils, Claude (futur père de Patrick-Louis) et Jacques qui penchent eux du côté du général de Gaulle, ce qui crée de vives tensions avec leur frère aîné Henry.
Claude finira par s’engager aux côtés de la 2e DB tandis que leur futur beau-frère Jean Ogliastro, membre actif de la Résistance, survivra à la déportation.
Le magasin des Champs-Elysées et l’usine d’Asnières toujours sous contrôle allemand mais produisant semble-t-il toujours des malles Vuitton reçoivent le même mois la visite bienveillante du colonel Bonhomme.
A chaque fois qu’il remonte à la capitale, celui-ci ne manque jamais de passer une soirée avec Henry qui lui rend la pareil quand il redescend à Vichy.
En janvier 1944, le colonel meurt dans un accident de voiture dénoncé comme attentat.
Ensuite, alors que le régime de Vichy se délite, les activités des Vuitton demeurent sans trace.
Et les archives de l’entreprise inaccessibles.
A la Libération, étonnement, Gaston et Henry ne sont pas inquiétés
et échappent à toute épuration.
Claude reçoit la médaille de la Bravoure et de Discipline.
La famille Vuitton panse ses plaies, ses divergences entre soi et les affaires reprennent, Henry à la direction commerciale, Jacques à la direction administrative et financière, Claude à la direction de l’usine.
Dans les années 50, la Maison Vuitton, comme si la guerre n’avait pas existé, reçoit une commande de l’Elysée pour un voyage officiel du président Auriol aux Etats-Unis. Henry, dans les années 80, publiera ses mémoires, en occultant délibérément la période de la Collaboration, sans pour autant renier semble-t-il ses idéaux
D’après « Louis Vuitton, une saga française » par Stéphanie Bonvicini, éd. Fayard, 2004
http://www.louvrepourtous.fr/Scandale-Vuitton-au-musee,619.html#1
SOURCES LIEN
https://histoiredesvancleefetdesarpels.blogspot.fr/2012/12/van-cleef-s-et-j-arpels-vichy-en-1917.html