Louis Vuitton, c'est une histoire ordinaire.
Faite de lâcheté, de travail acharné, de sacrifices, de silence, de mépris, de haine.
Haine entre un fils et son père, haine entre les Vuitton et Bernard Arnault qui prit le contrôle de l'entreprise en 1989 "en y entrant avec l'air d'un premier communiant",
comme le dira avec amertume Henri Racamier (alors propriétaire de LVMH).
Je croyais tout savoir de Vuitton jusqu'à la lecture de "Louis Vuitton, une saga française".
Je croyais tout savoir de Vuitton jusqu'à la lecture de "Louis Vuitton, une saga française".
L'auteur, Stéphanie Bonvicini, est journaliste.
Elle a rassemblé une somme incroyable de témoignages, compulsé les archives de la Maison, fouillé dans les bibliothèques municipales et les registres des mairies, remontant le fil de la famille Vuitton depuis 1821 jusqu'à son rachat par Bernard Arnault.
En 1989, celui-ci en fit la pierre angulaire du géant LVMH que l'on connaît tous.
Louis Vuitton |
Ce livre raconte d'abord Louis Vuitton. L'exposition De Louis Vuitton à Marc Jacobs présentée aux Arts Décoratifs mettait en avant les évolutions de la toile et les innovations du fondateur mais pas du tout sa personnalité. Ici l'auteur parle de l'homme, de ses enfants, de la façon dont une famille ordinaire s'est inscrite dans l'histoire de son pays jusqu'à en devenir un symbole.
Qui est Louis Vuitton ?
Qui est Louis Vuitton ?
Un travailleur acharné, parti de rien. Arrivé à Paris à l'âge de 16 ans, après avoir parcouru des centaines de kilomètres à pied, Louis Vuitton se place comme apprenti chez Monsieur Maréchal, layetier-emballeur.
Au XIX° siècle, ces artisans confectionnent des caisses en bois blanc sur mesure, dans lesquelles les élégantes emmènent leur garde-robe, voire leur maison! Manteaux, brosses, chapeaux, robes à tournures, carafe de parfum, chaque objet a son écrin pour voyager de Paris à Deauville, de Lyon à Moscou. Soigneux, discret, Vuitton devient l'emballeur favori de l'impératrice Eugénie.
En 1854, encouragé par sa femme Emilie, il monte sa propre maison. Auréolé du prestigieux titre "d'emballeur impérial", Louis Vuitton a la confiance d'une clientèle choisie.
Son idée de génie est de passer de la caisse à la malle et de transformer un objet laid et jetable (une caisse de bois) en objet durable, pratique et élégant. Jamais il n'a sacrifié la technique ou l'esthétique. Il voulait allier les deux.
Sa formation de menuisier lui a permis de trouver des bois plus légers, des structures plus résistantes aux intempéries et aux chocs.
La plus grande partie de l'ouvrage remet en perspective avec l'époque les perfectionnements apportés par Louis Vuitton aux malles et bagages : de 1850 à 1900, la vision du fondateur est inspirée par l'énergie économique du Second Empire, l'avènement du tourisme, le changement des modes de consommation (l'arrivée des grands magasins) et les nouveaux moyens de locomotion : automobiles, transatlantiques, trains express.
Chaque modèle est adapté à un besoin émergeant : les dessus plats permettent d'entasser les malles, les sacs souples de transporter le linge sale ou les affaires de nuit, etc.
L'auteur relie aussi le destin de Louis Vuitton à celui de Worth et Goyard.
Louis Vuitton seul n'aurait pas été grand chose.
C'est grâce au soutien de Worth et à l'émulation avec d'autres concurrents qu'il a pu se démarquer en innovant constamment.
Dès qu'un autre maletier proposait un nouveau modèle, Vuitton renchérissait.
On peut dire qu'il a placé la Recherche et le Développement au coeur de l'entreprise.
Malheureusement, Louis Vuitton pense toute sa vie vers un but qui devient presque obsessionnel : assoir sa suprématie ou plus exactement, celle de son nom, puisque lorsqu'il vend (sic!) son entreprise à son fils, il exige que celui-ci garde comme nom commercial "Louis Vuitton".
Malheureusement, Louis Vuitton pense toute sa vie vers un but qui devient presque obsessionnel : assoir sa suprématie ou plus exactement, celle de son nom, puisque lorsqu'il vend (sic!) son entreprise à son fils, il exige que celui-ci garde comme nom commercial "Louis Vuitton".
Pas Vuitton, ni Vuitton et Fils, mais Louis Vuitton.
Et là, l'histoire devient triste. Obnubilé par son objectif, Louis Vuitton n'a vu ses enfants qu'à travers l'entreprise.
Et là, l'histoire devient triste. Obnubilé par son objectif, Louis Vuitton n'a vu ses enfants qu'à travers l'entreprise.
Son fils Georges mènera toute sa vie une guerre larvée pour exister, lui aussi, et partager sa vision personnelle.
Les générations suivantes conserveront cette ambition du nom au-dessus de tout.
L'omniprésence du logo chez Vuitton n'est pas dicté que par le marketing : il découle aussi de cette propension à vouloir exister.
Ils ont le souci extrême de satisfaire leurs clients mais pas par empathie : par fierté, pour qu'on ne disent pas qu'ils ont manqué.
C'est ce terrible manque d'amour qui m'est resté dans la bouche quand j'ai refermé le livre.
C'est ce terrible manque d'amour qui m'est resté dans la bouche quand j'ai refermé le livre.
L'écriture de Stéphanie n'y est pour rien : à aucun moment, elle ne prend parti et on la sent plutôt admirative de cette saga industrielle. Même lorsqu'elle évoque le Vuitton des années noires, elle reste extrêmement neutre.
Et nous voilà face au vilain petit secret de la maison. J'ai toujours été intriguée par le silence sur les années 1935 à 1945 chez Vuitton : jamais la Maison ne parle des années 40 ni ne présente aucun modèle de cette époque.
Et nous voilà face au vilain petit secret de la maison. J'ai toujours été intriguée par le silence sur les années 1935 à 1945 chez Vuitton : jamais la Maison ne parle des années 40 ni ne présente aucun modèle de cette époque.
Etonnant trou noir, pour une entreprise qui vante son indéfectible innovation.
Elle aurait donc stagné pendant 10 ans ?
Au contraire, elle s'est diversifiée. S'installant à Vichy, les Vuitton travaillent pour Pétain. Toujours accrochés à leur nom, ils sont prêts à tout pour garder le haut du pavé pendant la Guerre. Ils y parviennent si bien que Henry Vuitton est décoré de la francisque en 1942.
L'histoire pourrait s'arrêter là car les entreprises ayant collaboré de près ou de loin avec le régime de Vichy et / ou les Nazis ne se comptent plus, mais peu d'entre elles mettent autant d'énergie à le cacher.
Au contraire, elle s'est diversifiée. S'installant à Vichy, les Vuitton travaillent pour Pétain. Toujours accrochés à leur nom, ils sont prêts à tout pour garder le haut du pavé pendant la Guerre. Ils y parviennent si bien que Henry Vuitton est décoré de la francisque en 1942.
L'histoire pourrait s'arrêter là car les entreprises ayant collaboré de près ou de loin avec le régime de Vichy et / ou les Nazis ne se comptent plus, mais peu d'entre elles mettent autant d'énergie à le cacher.
En 2011, Médiapart et Arrêt sur Image dévoilent que LVMH a fait pression via la régie publicitaire du groupe Prisma sur les journalistes de ...
Géo Histoire pour censurer un dossier de 5 pages consacré à la collaboration économique. Extrait :
"Lorsque Philippe Pétain installe son gouvernement dans les murs de l'hôtel du parc, à Vichy, toutes les enseignes de luxe qui, comme les joailliers Van Cleef & Arpels, y tiennent boutique, en sont chassées.
Toutes, sauf une : le bagagiste Vuitton. La maison, fondée en 1854 par Louis Vuitton et mise à la mode par l'impératrice Eugénie (l'épouse de Napoléon III), est, en 1940, dirigée son petit-fils Gaston.
Ce dernier demande à son frère aîné Henry d'afficher de façon claire sa fidélité au nouveau régime afin d'assurer la pérennité de la marque. La maison Vuitton va ainsi fabriquer, dans des ateliers expressément constitués à cette fin, des objets à la gloire du maréchal Pétain et notamment 2500 bustes officiels. Henry Vuitton entretient par ailleurs de fortes amitiés avec les officiers de la Gestapo.
Il est même l'un des rares industriels à être décoré par les nazis, en remerciement de sa loyauté. Une cérémonie durant laquelle les officiers de la SS et de la Wehrmacht arborent des uniformes dessinés par un tailleur de Metzingen, un certain Hugo Boss, et confectionnés par des déportés et des travailleurs du STO".OK. Ca fait un peu désordre.
Dans une interview à The Guardian, Stéphanie Bonicini explique qu'elle a d'abord reçu la pleine coopération de la firme quand elle leur a présenté le projet de son livre, LVMH lui proposant même de la soutenir pour une diffusion en anglais et en japonais.
Mais lorsqu'elle approche des activités durant la guerre, le ton change ; on lui dit que les documents de la société pour les années 1930 à 1945
ont été détruits dans un incendie.
Louis Vuitton a établi une véritable chape de plomb sur son histoire.
Publié par Fayard en 2004, Louis Vuitton une saga française a subi en France un boycott total de la presse (excepté le Canard Enchaîné).
L'auto-censure est telle que Michel Zaoui, alors porte-parole du CRIF, n'apprend l'existence de l'ouvrage que par la presse étrangère.
Avec un peu d'amertume, il dit que ce qui le choque le plus, ce ne sont pas les faits rapportés mais le silence des médias hexagonaux.
Et conclut, désabusé : "que voulez-vous, c'est la presse française".
Bien qu'il soit certainement l'un des plus exhaustifs sur l'histoire de Vuitton (et sans doute à cause de cette exhaustivité), le livre de Stéphanie a également été censuré en 2010 de la librairie du Musée Carnavalet lors de l'exposition "Voyage en Capitale", organisée entièrement par Vuitton, ne présentant que des objets Vuitton...
La chose a fait grincer certaines dents, l'utilisation d'un musée public à des fins de communication gênant un peu les puristes.
Comme le précisent avec beaucoup de bon sens Stéphanie et Michel Zaoui, le passé de Vuitton n'a plus aucun rapport avec la maison actuelle.
Personne ne pense à organiser un boycott et le craindre, c'est faire peu de cas de l'intelligence des clients ;
c'est même douter du pouvoir d'attraction de ses produits.
Personne ne boycotte Chanel, Hugo Boss, Renault ou Wolkswagen. L'attitude de LVMH manque cruellement d'élégance. Si Louis Vuitton a des choses à se reprocher, il serait plus sain d'assumer son passé et de s'en excuser en créant, par exemple, une fondation pour les victimes du nazisme.
Bizarrement, cette histoire n'est pas remontée à la surface lors du scandale Galliano mais elle explique peut-être certaines choses.
Les journalistes s'étaient alors fait un plaisir de racler les fonds de tiroirs pour ressortir tous les collabos de service : de la nièce de Christian Dior (aucun rapport avec la choucroute, Christian Dior n'étant pas sa nièce) à Hugo Boss en passant par Coco Chanel (dont la Maison Chanel ne nie pas l'antisémitisme viscéral, puisque les propriétaires en ont été les premières victimes). Mais de Gaston et Henry Vuitton, collaborateur actifs et décorés, nenni.
Ou comment on gratte le fond des tiroirs pour éviter d'ouvrir les placards...
Censure dans la presse - Arrêt sur Image
The Guardian
Scandale Vuitton au musée Carnavalet Louvre pour Tous
Louis Vuitton, une saga française - de
Stéphanie Bonvicini. 364 pages, 22,30 € -
http://stelda.blogspot.fr/2013/09/les-secrets-de-louis-vuitton.html