• VIOLETTE MORRIS, collaboratrice GESTAPO

     

    Marie-Josèphe Bonnet, Violette Morris,

    Histoire d’une scandaleuse

    Paris, Perrin, 2011, 378 p.
    Mirande Lucien
    Référence(s) :

    Marie-Josèphe Bonnet, 

    Violette Morris, Histoire d’une scandaleuse,

    Paris, Perrin, 2011, 378 p.

     



     
    Le point de départ de ce livre est intéressant.

    Il s’agit de se demander pourquoi la thèse selon laquelle

    Violette Morris était un « agent de la Gestapo », a été adoptée aussi facilement et aussi unanimement, rendant de ce fait l’exécution de cette femme « compréhensible » en cette fin de guerre où les règlements de comptes étaient nombreux.

     

     

    Marie-Josèphe Bonnet enrichit le questionnement en prenant pour arrière-fond la collaboration féminine et le nombre important de femmes incarcérées dans les prisons françaises, juste après la guerre, pour fait de collaboration avec l’ennemi.

     

     

    2En ouvrant Violette MorrisHistoire d’une scandaleuse, on s’attend à lire la biographie d’une femme, dont la principale caractéristique est de susciter l’indignation.

     

     

     

    Tout le monde sait qu’il y a différentes façons d’être scandaleuse :

    en allant à l’encontre de la morale par ses actes ou ses propos ou tout simplement, à une époque où le comportement comme le vêtement sont rigoureusement codés, en n’étant pas comme tout le monde.

     

     

     

    La différence, Violette Morris l’affiche sans hésitation en s’habillant en homme, en parlant vulgairement, et en aimant des femmes.

     

    Dans son livre, Marie-Josèphe Bonnet prend régulièrement le contre-pied de celui rédigé par Raymond Ruffin, dans lequel elle voit un portrait infondé et une biographie de parti pris.

     

    Le titre choisi en dit long.

     

    L’ouvrage de Ruffin est intitulé : 

     

    Violette Morris, La Hyène de la Gestapo1, La morphologie des hyènes ne permet pratiquement pas de distinguer la femelle du mâle.

     

    Le titre fait donc allusion aux habitudes vestimentaires et au comportement de Violette, mais en la désignant par une image thériomorphe si rarement laudative, il accrédite l’idée qu’un personnage aussi « anormal » devait, de manière quasi évidente, basculer vers la Gestapo.

     

    Or c’est cette « différence » et les conséquences de celle-ci chez Violette Morris, qui sont au centre de la réflexion

    de Marie-Josèphe Bonnet.

     

    Mais on peut regretter les trop nombreuses suppositions et le nombre exceptionnel de points d’interrogation, qui font que le visage de l’héroïne n’émerge pas vraiment de la quantité de documents d’archives consultés.

     

     

    3

    Le livre compte cinq chapitres :

     

    un chapitre consacré à l’enfance, un à la période sportive, un au glissement vers le monde de l’art et deux à la période de Vichy et de la Libération.

    4Avec toutes les archives consultées pour le premier chapitre, on peut refaire l’histoire de la conquête de l’Algérie ou presque.

     

    On en retiendra une famille à la forte tradition militaire, cosmopolite et, cas évoqué si souvent par la psychothérapie, celui de la femme, Violette, qui vient prendre la place d’un garçon mort.

    5On aurait aimé, dans le deuxième chapitre, voir développer plus clairement l’histoire de la naissance du sport féminin et spécialement du sport populaire, sa réception par le public et par les journalistes de différents journaux ayant une rubrique sportive.

     

    On aurait pu voir alors comment Violette Morris s’insérait dans cette histoire.

    À première vue, être exclue de la fédération sportive parce qu’on donne des excitants à ses équipières ou parce qu’on s’en prend violemment à l’arbitre, ce n’est pas être victime d’un machisme primaire.

     

    N’en restent pas moins remarquables les performances sportives de la dame à une époque où les femmes sont rares sur les podium.

     

    À l’époque, le fait d’adopter, pour pratiquer un sport, un costume plus adapté que le costume féminin traditionnel et parfois de le porter sans faire de sport, est un « marqueur » de « féminisme ».

    Afficher l'image d'origine 

    Les femmes cyclistes ont été les premières à être confrontées à cette problématique.

     

    Reste que Violette Morris ne semble pas rechercher cette étiquette, qui implique une conscience politique.

     

    On aimerait donc savoir ce que voulait en fait, cette femme intéressante, quelles étaient ses motivations profondes.

     

    On comprendrait mieux, alors, ce qui a amené Violette Morris du côté de Vichy plutôt que du côté de Londres où les femmes en uniforme ne s’ennuyaient pas toujours !

    6Pour la période sur laquelle plane le doute de la collaboration, une masse impressionnante de documents sont convoqués, confrontés. Mais finalement seules des suppositions sont retenues et beaucoup d’interrogations restent sans réponse.

    7Le titre du chapitre de conclusion est à la forme interrogative :

    « Un bouc émissaire ? »

     

    La thèse suggérée est qu’en cette fin de guerre, des têtes doivent tomber et que l’héroïne de cette biographie est le bouc émissaire tout trouvé, parce qu’elle n’est pas comme « les autres » et que de ce fait elle détourne l’attention de ces autres et tout spécialement de tous ceux dont la conduite n’a pas été glorieuse pendant cette période noire de l’histoire nationale.

    8Un sujet abordé dans la conclusion mériterait d’être traité.

     

    Il s’agit de la fascination que les nazis ont exercée sur un certain nombre d’homosexuels et de lesbiennes.

     

    Elle est liée à l’esthétique corporelle prônée, aux rituels collectifs observés, alors même que ces femmes et ces hommes ne partagent pas avec les nazis la promotion de la productivité familiale.

    9Ce livre pose aussi une question plus contemporaine :

    la démocratie, si elle ne respecte pas les différences, ne risque-t-elle pas de pousser dans les bras de groupement fascistes qui leur donnent au moins l’illusion d’être acceptés, ceux et celles qui ne sont pas dans la norme majoritaire ?

    10Petite question, adressée à l’auteure, adepte du féminin grammatical : le mot « agent de la Gestapo » n’a-t-il pas plus de féminin (p. 9) que le mot « corrupteur » (p. 56) ?

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    Notes

    1 Ruffin Raymond, Violette Morris, La Hyène de la Gestapo, Le Cherche Midi, 2004.

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    Pour citer cet article

    Référence électronique

    Mirande Lucien, « Marie-Josèphe Bonnet, Violette Morris, Histoire d’une scandaleuse », Cahiers d'histoire. Revue d'histoire critique [En ligne], 119 | 2012, mis en ligne le 01 janvier 2014, consulté le 15 septembre 2015. URL : http://chrhc.revues.org/2862

     

     

    https://chrhc.revues.org/2862

     

     

     

     

     

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