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    Arletty et l'Épuration :

    "Je suis un gentleman !"

     

     

    Pendant l'Occupation, Arletty n'arrêta pas de travailler et tourna six films,

    dont Les visiteurs du soir (1942) et Les enfants du paradis (1943),

     

     

    mais jamais avec la Continental, dirigée par les Allemands !!!

    - le projet de Marcel Carné,

    Les évadés de l'An 4.000 ayant avorté.

     

    "Les enfants du paradis" (1945):

     

     

    En 1941, sur le tournage de Madame Sans-Gêne, le réalisateur Roger Richebé lui demande d'intervenir auprès d'un colonel de la Luftwaffe, Hans Jürgen Soerhing, pour qu'il accepte de prêter le château de Grosbois, quartier général de l'aviation allemande, pour le film.

     

    Cet homme de 33 ans, qui parlait couramment français, lui avait déjà été présenté quelques mois auparavant.

     

     

    photo  de  ARLETTY:

     

     

     

    Dès lors, elle s'afficha à ses côtés partout, dans les soirées mondaines, à l'ambassade d'Allemagne, au restaurant, ce qui lui valut un jour d'entendre à la radio qu'elle avait été condamnée à mort par les Résistants !

     

    Le lendemain, elle rétorqua à un journaliste

    qu'il l'interrogeait sur cette information

    "Ni chaud, ni froid !".

     

     

    Arletty & Jean-Louis Barrault / Les enfants du Paradis / Marcel Carné:

     

    En 1943, sur le tournage des Enfants du paradis, elle tombe enceinte de Hans,

    avorte et n'ose pas accepter sa demande en mariage.

     

     

    Les enfants du Paradis --écrit par Jacques Prevert:

     

     

    Les Américains débarquant en Sicile, l'ambiance est lourde à Nice, où se tourne le film de Marcel Carné. Robert Le Vigan s'enfuit en Allemagne

    et Arletty a peur pour son amant qui se bat à Monte-Cassino.

     

     

     Les Années Elégantes:

     

     

    De retour à Paris, elle use de son influence auprès des Allemands pour sauver la vie

    de Tristan Bernard, Sacha Guitry s'en attribue tout le mérite,

    d'où quelques années de brouille.

     

     

    A la Libération de Paris, en août 1944, Arletty fait le choix de rester à Paris, malgré les conseils de son amant.

     

    Elle se cache chez un jeune assistant de cinéma, puis chez Lana Marconi,

    puis chez un médecin qui lui conseille finalement de se laisser arrêter.

     

     

     

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    Conduite au dépôt puis à Drancy (ancien lieu d'internement avant la déportation des juifs)

    peu après, elle rétorque aux FFI la célèbre réplique de Hôtel du Nord :

     

     

     

    "Pour une belle prise, c'est une belle prise !".

     

     

    Hôtel du Nord : Arletty.:

     

    Lors de son procès, elle ne se démonte pas, bien consciente de l'injustice que représente sa condamnation morale.

     

    A un préfet qui lui demande le nombre de ses conquêtes féminines,

    elle rétorque

     

    "Je suis un gentleman !".

     

    Quand le même individu la questionne un matin sur son état de santé,

     

    elle plaisante :

    "Pas très résistante".

     

    Arletty devint le symbole de la "collaboration horizontale "

    celle qui avait couché avec l'occupant, une traitrise absolue.

     

    SAUF qu'ARLETTY n'a jamais TRAHI personne !
    n'a JAMAIS DENONCE qui que ce soit
    comme les rats ANONYMES FRANCHOUILLARDS!
    les ROIS de la DELATION !
    qui connaissaient le chemin des KOMMANDANTUR
    et les BOITES aux LETTRES !!

    Elle était AMOUREUSE

     

    Afficher l'image d'origine

     

    Elle hésita à se raser les cheveux, mais personne n'ose le lui faire.

     

    Henri Jeanson lui souffla une réplique restée aussi célèbre que celles de ses films, comme l'ultime défense d'une femme tombée amoureuse d'un Allemand :

     

     

    "Mon cœur est français mais mon cul est international !".

     

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    Frappée d'une interdiction de travailler pendant trois ans, Arletty fut placée en résidence surveillée à quelques kilomètres de Paris.

     

    Son idylle avec Soerhing continua encore quelques temps avant de s'effacer doucement, la distance aidant.

     

    Elle recommença à travailler dès 1949 avec Portrait d'un assassin,

    de Bernard Rolland.

     

    A la fin de sa vie, quand on évoqua la possibilité qu'elle obtienne

    la Légion d'Honneur,

    elle se contenta de citer la phrase de Marcel Aymé :

     

     

     

    42_17285207

     

    "Vous pouvez vous la carrer dans le train !"

     

     

     

    Sources /

    http://lagedorducinemafrancais.blogspot.fr/2012/10/arletty-et-lepuration-je-suis-un.html

     

     

     

     

     

     

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  • Sacha Guitry et l'Épuration : le jugement du Tout-Paris !

     

    Sacha Guitry lors de son premier interrogatoire à la Mairie du VIIe arrondissement -  août 1944 (R.Chateau)





    1
    Que l'on pense à Paris et sa vie mondaine, artistique et intellectuelle, les noms de Jean Cocteau et Sacha Guitry arrivent avec leurs flots d'anecdotes d'avant-guerre. Les Allemands dans la capitale française occupée, ce dernier tient à garder son rôle primordiale dans le microcosme parisien et ne change en rien ses habitudes : on le retrouve sur scène dès le 30 juillet 1940 au Théâtre de la Madeleine pour une une reprise de Pasteur et son activité cinématographique se poursuit mais en dehors des lignes de la Continental qu'il se refuse à intégrer malgré les insistances d'Alfred Greven
     
    - il réalise pour des productions indépendantes Le Destin fabuleux de Désirée Clary (1941), un court-métrage La loi du 21 juin 1907 (1942), Donne-moi tes yeux etLa Malibran (1943).

     
     
    Pendant la guerre, Sacha Guitry poursuit son oeuvre philanthropique et préside à de nombreux galas de charité ou de bienfaisance.
     
    Sous l'égide du Secours National (placé sous l'autorité du Maréchal Pétain depuis 1940), il organise des spectacles et offre de nombreuses oeuvres d'art vendues aux enchères.
     
    Au Gala des Artistes de 1942, il offre un Utrillo de 650.000 francs !

    Hélas pour lui, ce n'est pas ce que retiennent les épurateurs lorsqu'ils organisent le procès du Roi du Tout-Paris
     
    - à peine sa participation à la libération de Tristan Bernard (avec l'aide précieuse d'Arletty) est-elle évoquée.
     
    Dès 1942, l'actrice Françoise Rosay le brocarde dans une interview réalisée par un journaliste américain, propos diffusés à la BBC qui leur donnent alors une importance considérable :
     
     
     
    De tous les acteurs qui demeurent et collaborent, le pire est Sacha Guitry. Il est riche. Il ne devrait pas sacrifier son honneur. Or il a quitté le droit chemin pour cultiver l'ennemi et fréquenter le général Stupnagel. 
     
    Le magazine américain Life publie la même année une liste noire de personnalités françaises condamnées par les Résistants à être assassinées ou jugées
     
    - on y trouve notamment
     
     
    Maurice Chevalier,
    Mistinguett,
    Marcel Pagnol,
     
    Céline, le Maréchal Pétain, Laval et Sacha Guitry, lequel s'étonna quelques années plus tard : S'appeler Life et demander la mort, c'est curieux déjà !


    Pire encore, Sacha Guitry s'est ouvertement fourvoyé au service du Chef de l'Etat Français. Le 3 octobre 1943, il va présenter une maquette de son livre au titre sans équivoque, De Jeanne D'Arc à Philippe Pétain, au principal intéressé, à Vichy. Selon Raymond Castans (cité par René Chateau), Sacha Guitry n'aurait jamais caché ses sentiments pétainistes et ils n'auraient rien perdu de leur intensité avec le temps. Dans Le Petit Parisien (quotidien originellement de gauche et transformé en organe de propagande par les allemands), il écrit plusieurs articles où il exalte la personnalité du vieux militaire : N'as-tu pas tressailli en entendant cette grande voix qui te disait que tu n'étais ni vendu, ni trahi, ni même abandonné ? Le livre est publié et Guitry organise en 1944, quelques jours avant le Débarquement, un grand gala en son honneur à l'Opéra. Une édition luxueuse et dédicacée est même vendue 25.000 francs pour le Secours Populaire.

    Sacha Guitry est, en outre, aux yeux des épurateurs, le représentant incontestable de la collaboration mondaine. Ce que réfuta le maître dans un livre de souvenirs (qu'Arletty surnomma Le roman d'un tricheur !) apparaît pourtant attesté par nombre de documents et de témoignages : Jean Marais se souvient avoir rencontré Arno Breker (sculpteur officiel du IIIe Reich) lors d'une répétition générale d'une pièce de Guitry, Arletty affirme avoir rencontré son amant grâce à lui et ajoute qu'elle participa à une réception en l'honneur du Maréchal Goering à ses côtés.



    Sacha Guitry est arrêté le 23 août 1944 à 10h45 à son domicile, par cinq hommes armés qui le conduisent à la Mairie du VIIe arrondissement pour un premier interrogatoire. Le soir même, il est conduit au Dépôt. Cette "chute du Roi" est symbolique, elle représente le Tout-Paris mondain, celui des nantis qui se sont bien accommodés de la présence de l'Occupant Allemand. Le 15 octobre, il est inculpé d'intelligence avec l'ennemi, malgré un dossier vide, composé de rumeurs et de dénonciations. Abandonné de tous, il reçoit pourtant un chaleureux message de sympathie de Pauline Carton. Amer, il écrit : Ce que je paie aujourd'hui, ce n'est pas mon activité pendant quatre ans mais bien quarante années de réussite et de bonheur qu'on ne me pardonne pas. Si on me demandait mon avis, je dirais que le bien que j'ai fait pendant ces quatre années est la cause initiale du singulier malheur qui me frappe. Il est emprisonné à Fresnes pendant deux mois. L'Humanité ne mâche pas ses mots pour évoquer son retour à la liberté : Le comédien nazi a été purement et simplement libéré. Le non-lieu de son procès n'intervient qu'en 1947. Dernière humiliation, lorsqu'il publie son recueil de souvenirs Quatre ans d'occupation, il est contraint par la justice de retirer un chapitre qui entache à l'honneur de Hélène Perdrière (une ancienne amie) et à 12.000 francs de dommages et intérêts.



    Sacha Guitry ne cessa pas sa carrière pour autant, malgré une blessure morale certainement profonde.
     
    En 1956, dans le prologue de Si Paris nous était conté, le maître s'amuse même l'espace d'un instant à y faire une allusion.
     
    Alors qu'il fait la lecture à haute voix d'un récit sur les origines de la capitale, il déclare :
     
    Enfin ce furent les Francs, dont l'arme préférée se nommait la francisque. Derrière lui, on entend des voix toussoter, gênées.
    Il se contente de dire Chut, chut !
    et de conclure :
    C'était une arme à deux tranchants.
     


    Photos et sources :
    Le Cinéma Français sous l'Occupation (1940-1944) par René Chateau.
     
     
    http://lagedorducinemafrancais.blogspot.fr/2013/01/sacha-guitry-et-lepuration-le-jugement.html
     
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  • Le marché noir en coulisses, la suspicion généralisée et, surtout, ce « dernier métro » après lequel courent spectateurs et acteurs de peur de traverser Paris à pied à l'heure du couvre-feu 

     

     

    Le Dernier Métro,célébrissime film de François Truffaut (1980), donne une vision assez juste du quotidien du théâtre sous l'Occupation.

     

     photo gr_pattes_blanches-02.jpg

     

     

     

    « Les salles étaient pleines, se souvient Michel Bouquet, 17 ans en 1943, l'année où il entre au Conservatoire. C'était le seul recours pour trouver un peu d'espoir et, surtout, pour entendre la langue française, ne plus avoir dans les oreilles ce bourdonnement permanent de l'allemand... »

     

    Pendant l'Occupation, les grands metteurs en scène des années 1930 (Charles Dullin, André Barsacq, qui lui succède à l'Atelier, Gaston Baty...) ne chôment pas.

     

    Du côté du boulevard, Sacha Guitry (inquiété à la Libération) triomphe avecN'écoutez pas, Mesdames, tandis que Marcel Achard est joué sans relâche.

     

     

     

    Jean Cocteau crée La Machine à écrire en 1941, malgré l'opposition préalable de la censure française, contredite par l'occupant. Jean Marais est de tous ses spectacles, et quand l'acteur s'en va gifler Alain Laubreaux,

     

    le critique redouté de Je suis partout, l'organe de la collaboration qui avait éreinté La Machine à écrire, il devient l'incarnation d'une forme de résistance - l'anecdote est reprise dans Le Dernier Métro.

     

    A l'avant-garde du théâtre parisien, Jean-Paul Sartre monte Les Mouches, en juin 1943, au Théâtre de la Cité (ex-Théâtre Sarah-Bernhardt rebaptisé par les forces d'occupation) : succès mitigé, accueil incendiaire de la presse collaborationniste.

     

     

     

    Albert Camus crée Le Malentendu en juin 1944 au Théâtre des Mathurins, avec Maria Casarès. Mais Antigone, de Jean Anouilh, qui avait décidé de relire Sophocle« avec la résonance de la tragédie que nous vivions », reste le spectacle emblématique de l'époque.

    La logique de désobéissance de l'héroïne, face à l'autorité de Créon, enflamme les spectateurs.

     

    Même la Comédie-Française s'autorise des créations majeures : La Reine morte, de Montherlant, en décembre 1942. La version de cinq heures du Soulier de satin, de Claudel - pourtant réputé gaulliste -, est montée en novembre 1943 par Jean-Louis Barrault.

     

     

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    Ces deux spectacles, Gisèle Casadesus s'en souvient aujourd'hui avec émotion et précision. Quelques mois après la première de La Reine morte, elle a remplacé dans la pièce Renée Faure, appelée à tourner L'Assassinat du Père Noël.

     

     

     

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    Elle se rappelle avoir répété devant Montherlant, qui l'avait félicitée : « Une émotion terrible, j'avais appris le texte très rapidement, c'était un rôle important, dans lequel Renée Faure était très bien. »

    Le personnage d'une pièce de Labiche,
    prénommé Adolphe, devient Alfred...

     

     

    Gisèle Casadesus avait été engagée au Français en 1934, à l'âge de 20 ans (elle en aura bientôt 96) pour jouer « les ingénues, les soubrettes légères et les jeunes premières », selon la notion d'« emploi » qui prévaut à l'époque.

     

    D'abord pensionnaire, elle est nommée sociétaire dès 1939, ce qui est exceptionnel de précocité. Il faut dire que le dramaturge Edouard Bourdet (Les Temps difficiles),mis à la tête de l'institution par le gouvernement du Front populaire, a entrepris de rénover la maison : il empêche les « chefs d'emploi » de jouer les rôles d'ingénues à 60 ans passés, encourage la création de textes contemporains.

    Au point de susciter des polémiques qui évoquent curieusement celles d'aujourd'hui : « jeunes contre vieux », réflexions sur la vocation du Théâtre-Français...

     

     

    Bourdet est victime d'un accident de la circulation peu avant l'armistice de 1940. Jacques Copeau lui succède pour un intérim de dix mois.

     

    « J'ai joué juste avant l'exode, se souvient Gisèle Casadesus, puis le théâtre a fermé. Très vite, Copeau nous a dit que l'occupant souhaitait qu'il rouvre : on a rejoué en septembre 1940, avec notre répertoire habituel. Rien ne paraissait changé mais tout était différent dehors, avec cette grande question qui n'était pas poétique : comment va-t-on manger ? C'était nos conversations, au théâtre ou ailleurs ! »

     

     

    On ne cédera pas à la tentation de faire de la Comédie-Française un microcosme de la société, mais la vie s'y organise, « dans un drôle de climat de silence et de méfiance », poursuit la comédienne. « On faisait tous très attention à ce que l'on disait, l'appréhension était permanente. » Il y a les exigences de l'occupant.

    Par exemple, en février 1941, deux représentations, en allemand, d'Intrigue et amour, de Schiller.

     

    Gisèle Casadesus préfère ne pas y assister :

     

    « C'était au-dessus de mes forces, je n'en veux pas à ceux ou celles qui y sont allés, obligés par leur position... »

     

     

    La propagande veille, parfois de manière cocasse : le personnage d'une pièce de Labiche, prénommé Adolphe, devient Alfred : la réplique « l'ignoble Adolphe », qui a suscité des applaudissements, ne passe décidément pas... Mais les bonheurs artistiques sont là. Gisèle Casadesus, distribuée dans une vingtaine de pièces sur la période, se souvient des Fausses Confidences, jouées aux côtés de son amie Madeleine Renaud, ou de l'arrivée dans la troupe en 1944 - pour deux spectacles seulement, deux Molière - du grand Raimu.

     

    "Aucune liberté n'était permise et le danger
    était permanent. Le sentiment général
    était qu'une catastrophe pouvait surgir à
    n'importe quel moment,"
    (Michel Bouquet)

     

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    Michel Bouquet a des accents plus graves pour décrire une

     

    « époque éteignoir, où aucune liberté n'était permise et où le danger était permanent. Le sentiment général était qu'une catastrophe pouvait surgir à n'importe quel moment, surtout quand les Allemands, à l'approche de leur défaite, sont devenus plus durs encore ». En 1943, après un rendez-vous avec Maurice Escande, de la Comédie-Française, qui a convaincu sa mère de la pertinence de sa vocation, le jeune Michel Bouquet passe le concours du Conservatoire : dans la cour de l'école d'art dramatique, alors sise rue de Madrid, il reconnaît un jeune acteur vu quelques semaines plus tôt dans Sodome et Gomorrhe, de Jean Giraudoux : c'est Gérard Philipe, tout juste 20 ans. « Sur scène, dans son costume signé Christian Bérard, il était magnifique, avec une présence singulière. Je l'ai vu, à côté de moi, son pardessus sur les épaules, j'ai pensé : c'est Gary Cooper qui vient passer son concours d'entrée ! Ils ne prenaient que sept élèves : Gérard a fini sixième, moi septième. »

     

     

     

    Michel Bouquet travaille d'emblée :

    dans Première Etape, de Paul Géraldy, puis dans Danton, de Romain Rolland, où il joue Robespierre. Puis, toujours avec Gérard Philipe, il passe prématurément le concours de sortie du Conservatoire, qui lui vaudra un premier accessit. « Je donnais la réplique à Gérard dans sa scène de Fantasio. A la sortie, nous avons rencontré Camus, qui cherchait des comédiens. Je ne savais pas qui c'était, je n'avais pas lu L'Etranger. » Les deux amis joueront ensemble Caligula en septembre 1945. Autre rencontre majeure, alors que la guerre s'achève : celle de Jean Anouilh, l'auteur dramatique du moment, dont Michel Bouquet créera six pièces.

     

    « L'Occupation a été une période dure, du point de vue du froid, des restrictions en tout genre. J'ai vécu avec l'angoisse de partir au STO, ce que j'aurais dû faire fin 1944 si les Alliés n'avaient pas libéré Paris. Et j'ai continué à craindre que les Allemands ne reviennent, surtout au moment de la contre-offensive des Ardennes. Ce sentiment de terreur et d'humiliation ne m'a jamais quitté. »

    Pourtant, le spectacle a continué... .

     

     

     

     

    A lire
    La Comédie-Française sous l'Occupation, de Marie-Agnès Joubert, éd. Tallandier.

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  •  

    Christophe Clavel
    mardi 25 août 2015

     

     

    « Le 14 janvier 1941, grande première sur les écrans parisiens :

     

    Le Juif Süss du réalisateur Veit Harlan, produit par la firme Terra, est présenté au public. Annoncé par une campagne publicitaire intense, notamment par d’immenses affiches dans le métro, le fil est accueilli favorablement.

     

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    n célèbre comédien du Théâtre français, Jean Darcante, en assure le doublage. L’objectif de la propagande est clair :

     

    il s’agit de vulgariser d’une façon historique, donc indéniable, la vilenie du Juif, dans le genre déjà rendu immortel par Shakespeare.

     

    Cet antisémite éminent avait agi de même avec Shylock, le « marchand de Venise ».

     

     

    Les « braves gens » s’y laissent prendre, le personnage du Juif est présenté comme au Guignol :

    il est le fourbe qui doit être rossé par le gendarme, pour le plus grand plaisir du spectateur.

     

     

    D’autres productions de la même veine, comme Les Rapaces, excitent aussi la haine antijuive par le cinéma, pourtant merveilleux moyen d’éduquer en distrayant.

     

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    À la même époque reparaît Je Suis Partout.

     Afficher l'image d'origine

     

     

    Il est temps que les intellectuels français apportent leur pierre à l’édifice de la Collaboration.

     

    Brasillach,

     

    Rebatet, 

     

     

     

     

     

    Laubreaux en assurent la direction.

     

    Tous les auteurs « bien pensants » se précipitent dans les colonnes du journal :

     

    Marcel Aymé,

     

    Jean Anouilh,

     

    Marcel Jouhandeau,

     

    Drieu La Rochelle,

     

    le dessinateur Ralph Soupault, etc.

     

    En examinant la bibliothèque d’un ami de ma famille, l’ingénieur Jacques Gelman, je fus sidéré.

     

    En effet, il m’apparut que tous les auteurs présents sur les rayons étaient passés du côté de l’occupant :

     

    Jean Giraudoux,

    Pierre Benoit,

    Henri Bordeaux,

    Description de cette image, également commentée ci-après

    Paul Morand,

    André Gide,

    Jacques Chardonne,

    Jean Giono,

    Pierre Gaxotte,

    Henri de Montherlant,

    Alfred Fabre-Luce,

    Pierre Mac Orlan,

    Bertrand de Jouvenel.

     

    Les élites qui symbolisaient le pays aux yeux du monde civilisé défiguraient délibérément la France.

     

    Ces grands écrivains pouvaient enfin assouvir leur aversion commune pour les Juifs.

     

    Les « ronds de jambe » de Jean Cocteau,

    Afficher l'image d'origine

     

     il n'hésite pas à accueillir Arno Breker, sculpteur officiel du troisième Reich, lors de son exposition à Paris, pendant l'été 1942.

     

    Leni Riefenstahl bénéficie de sa protection après la guerre pendant sept ans.

     

     

    grand ami de PICASSO,

    Pendant la Seconde Guerre mondiale, Pablo Picasso vit à Paris.

    Entre 1942 et 1943, il réalise l'assemblage, Tête de taureau, L'Aubade, L'Homme au mouton.

    Les archives sur le marchand d'art proche des nazis Hildebrand Gurlitt indiquent qu'il affirme avoir acheté une œuvre chez Picasso lui-même en 1942

    Picasso n'a jamais été inquièté, il vendait ses oeuvres aussi aux occupants..

     

    de Sacha Guitry,

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    de Steve Passeur

     

    et autres esclaves de la mode et du « parisianisme » furent si vulgaires dans la flagornerie et l’allégeance aux vainqueurs,

    qu’il serait indécent de rappeler ici leurs débordements.

     

     Description de cette image, également commentée ci-après

    Le cas de Louis-Ferdinand Céline est particulier.

     

    Cet individu avait besoin pour vivre de « bouffer du Juif » quotidiennement. Sa haine tenait de l’anthropophagie.

     

    Une étude approfondie serait nécessaire pour expliquer les raisons intimes de son comportement.

     

    Cette déviation sadique chez un « médecin » en dit long sur le personnage.

     

    Au printemps 1941, dans La Gerbe, Céline exigeait

    « un véritable statut d’exclusion pour les Juifs »,

    celui imposé par le gouvernement de Vichy lui paraissant très insuffisant.

     

    À la même époque, au rayon librairie des Magasins Réunis, place de la République, je lus par hasard quelques pages de Les Beaux Draps du susdit, qui venait de paraître.

     

     

     

     

     

    La rage, le dégoût, l’indignation qui me saisirent ne m’ont jamais quitté. »

     

    Armand Gliksberg.

    Kaddish pour les miens. Chronique d’un demi-siècle d’antisémitisme (1892 – 1942). Paris, Mille et Une Nuits, 2004, pp. 219 – 221.

     

     

     

     

     

     

     

    https://clio-texte.clionautes.org/La-collaboration-des-intellectuels-francais-durant-l-Occupation.html

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    L'évasion d'un nouveau-né

    Ce livre, écrit par une résistante de la première heure, appartient à notre mémoire collective. France Hamelin parle de la vie quotidienne de ces femmes issues de la Résistance, de ces étrangères aussi qui combattent pour la France et qui, ensemble, luttent et résistent dans les conditions effroyables de leur détention. Elle parle certes de la fraternité, de la création, mais aussi des relations souvent violentes avec les gardiennes religieuses, les détenues prostituées ou de « droit commun ». Ces pages sont une ode à la femme dont le rôle et la lutte pendant cette période ont été trop souvent oubliés sinon négligés.

    France Hamelin est née en 1918.
    Issue d'une famille alsacienne ayant choisi la France, elle subira très tôt les premières insultes comme "étrangère". Elle assistera horrifiée à la rafle du Vel'd'hiv'. Résistante, elle entrera en action début 1943 et sera arrêtée le 31 août par la Brigade Spéciale. Après la Libération, elle participera à diverses revues et fera de nombreuses expositions de peinture. Militante de la cause des femmes et pour la paix.

     

     

     

     

    Odessa est tombé ! Ici tout le monde est content, docteurs, infirmières, malades...
    Je connais bien les infirmières maintenant.

     

    Il y a Mme Fernande, qui, le matin, vient laver par terre et ouvrir les fenêtres ; Mme Geneviève - je ne sais rien d'autre d'elle, sinon que son mari a été fusillé au Mont-Valérien ; elle ne desserre jamais les lèvres ; et une grosse mère, Mme Thérèse, bonasse et loquace, qui m'apporte en cachette ("Excusez-moi, faute de mieux...")

     

    L'oeuvre de Déat tous les jours. Quant à la surveillante de jour, elle m'a dit d'un air "bonne femme" : "Ne vous en faites pas.

     

    Nous vous garderons ici le plus longtemps possible. Nous dirons que c'est nécessaire à votre rétablissement, et 'ils' n'ont rien à y voir ! Vous serez toujours mieux ici que là où ils veulent vous envoyer !"


    Où veulent-ils m'envoyer ?

    Je vais peut-être avoir un abcès au sein.

     

    Catastrophe pour mes projets. Si je ne peux plus allaiter Michou, que faire ? Le plus dur sera moins de sortir d'ici que de vivre dans la clandestinité avec un gosse !


    Marcel a réussi à venir me voir en se mêlant aux "visites". Il ne faillit pas à la règle en m'apportant un énorme saucisson.

     

    "Où t'es-tu procuré ça ? Tu vas me faire le plaisir de le garder pour toi !"

     

    Rien à faire. "F...-moi la paix."

     

    Lui aussi jette un regard circulaire pour inspecter les lieux. "J'espère que tu ne vas pas moisir ici ! - Je n'en ai pas l'intention. - Alors, on fonce ? Quand ?"

     


    Lui est partisan du plus tôt possible. Moi aussi, mais il faut plusieurs choses : "Des habits pour moi, car je ne peux réclamer ceux qui sont en dépôt à l'hôpital sans donner l'éveil. Une cape, si possible, pour camoufler Michou. Un peu de lavette, un burnous ou des langes chauds pour que le petit n'attrape pas mal : il est enrhumé." Marcel hausse les épaules : "Il risque bien plus". Et puis il est nécessaire que je fasse un peu d'exercice, car telle que je suis je ne ferais pas trois mètres sans m'étaler par terre !

     


    "Moi, je veux bien, me dit Marcel. Mais, tu sais... les infirmières ont beau dire qu'elles te garderont et que ce sont elles qui font la loi, ne t'y fie pas. Le jour où ils voudront te récupérer, ils ne te préviendront pas quarante-huit heures à l'avance. Ils t'embarqueront avec le môme. Alors, pas d'histoire... Quel jour ?"

     


    Je ne sais pas dire le jour, mais je lui enverrai un "pneu" insignifiant.

     

    C'est facile par mon beau-père. Et lui comprendra que c'est le signal.

     

    J'avance timidement : "Tu crois que c'est nécessaire que tu m'aides et que je ne peux pas faire cela toute seule ?"

     

    Il bondit : "Ce n'est pas la peine d'essayer, alors. Ma pauvre fille, tu ne te rends pas compte, mais tu n'irais pas loin... On te bouclerait un peu mieux, c'est tout."

     


    Abcès ou pas abcès ? C'est le problème numéro un. Quand j'en ai parlé à Marcel, il n'a pas eu l'air de comprendre. Il est sûr que je trouverai du lait dehors.

     

    Mais où ? Et comment ?

     

    C'est un homme, il ne sait pas ce que c'est que du lait pour un petit.

    Mon abcès (car ça y est, j'ai un abcès) me fait souffrir. Il est mal placé : juste à l'endroit où le bord de l'entonnoir de succion passe et repasse. Oh ! ce bruit de la machine... La nuit, on me réveille.

     

    Toutes les trois heures, il faut tirer mon lait, lutter contre le mal. Peut-être pourrai-je allaiter encore....

     


    Je ne peux pas me lever. On est malade ou on ne l'est pas. Or il faut bien que je sois malade pour rester encore un peu ici et me sauver. Mais il faut aussi que je me lève pour exercer mes jambes. La nuit, je me glisse hors du lit, quand je suis bien sûre que ma voisine dort et que la veilleuse de nuit ronfle dans son fauteuil.

     

    La première fois que j'ai mis pied à terre, j'ai fait machine arrière sans pouvoir m'en empêcher. Je n'arrivais pas à retrouver mon équilibre. Maintenant, je fais quelques pas, mais je sens bien qu'il me serait difficile de courir avec mon Mich' dans les bras.

     



    Les inspecteurs sont venus m'apporter la décision de la préfecture à mon égard : ma libération est refusée. Mais, par "mesure spéciale", on ne me ramènera pas aux Tourelles. Je serai internée à Saint-Maurice avec les "droit commun", je n'aurai pas le droit de descendre dans la cour où l'on mènera mon fils, etc. Pour l'instant, ils ne me demandent que de signer l'engagement de ne pas chercher à me sauver !

     


    Je pique une belle colère. Je leur dis que je suis prisonnière ou que je ne le suis pas. Que si je suis prisonnière ils n'ont qu'à me garder. C'est leur métier et leur affaire. Je ne signerai pas.
    Ils ne sont pas contents. Ils cherchent à me convaincre : "Vous n'êtes pas raisonnable. C'est pour votre bien. Songez à votre enfant !"

     


    Oui bien, j'y songe ! Ils ont une drôle de façon à la préfecture, de vouloir notre bonheur... Saint-Maurice... avec les criminelles, les voleuses ! Mille fois plutôt les Tourelles, avec les camarades... Et mille fois encore plutôt la fuite. Mais je sens qu'il ne faut pas tarder !
    Ils me disent :

     

    "Au revoir, à bientôt !" Ils espèrent que j'aurai réfléchi, que je serai devenue plus sérieuse : "Vous vous énervez. Vous avez tort." (...)

     



    Treizième jour après la naissance de Michou. Mon abcès est presque guéri. Mon beau-père m'a procuré des habits et un peu de lavette.

     

    J'ai placé le tout sous mon matelas. Il ne me reste plus que la cape. Mémé va me l'apporter. "Tu as bien réfléchi ?" me demande mon beau-père. Il n'arrive pas à y croire. Je lui dis simplement :

     

    "Si Lucien était là, tu sais bien ce qu'il dirait..." Je pense : "... et ce qu'il ferait."

     


    Le pneu est parti. Je ne sais pas comment j'arriverai à descendre en vitesse cet escalier. Mais le pneu est parti. En latin, du temps des versions, ça se disait : alea jacta est [le sort en est jeté].
    Je regarde la pendule, les infirmières, les détails des lits, en pensant : "Je ne vous verrai plus longtemps, les jeux sont faits.

     

    Vous n'en savez rien, mais moi je sais."
    Je me sens nerveuse. Saurai-je courir ?

    Quelle veine n'ai-je pas ! Ce matin même, ce matin, on m'a dit de prendre mes affaires et de m'installer dans une salle du bas. Il y a un "cas grave" qu'on ne peut placer ailleurs que dans mon lit. O bonheur ! "Les inspecteurs en diront ce qu'ils voudront, ont fait les infirmières. Nous, on est un hôpital, on n'est pas une prison." Je pense bien !

     


    J'ai pris mes frusques. J'ai eu du mal ! Elles m'ont demandé : "Qu'est-ce que c'est que ce ballot ?" J'ai eu chaud, mais j'ai répondu :

     

    "C'est ma layette, où voulez-vous que je la mette ?"


    J'ai pu descendre l'escalier qui me faisait si peur, lentement, posément, en m'appuyant ostensiblement sur la rampe, tandis que Michou suivait, très calme, dans les bras d'une infirmière. Une place m'était réservée dans une des salles les plus proches de la porte de sortie du pavillon... une salle où sept à huit personnes attendaient les dernières douleurs.
    La surveillante de nuit est passée me voir en coup de vent : "Une bonne nouvelle ! Une de vos camarades s'est évadée hier soir.

     

    C'est Germaine qu'elle s'appelle, Germaine... ?" Elle cherche le nom. Il n'y avait pas de Germaine salon Bouillot.

     

    Ce doit être une nouvelle venue. Sans doute Germaine Lenu.

     


    "Qu'est-ce qu'elle avait ? Comment ça s'est fait ? - On allait l'opérer pour ses reins. (ça y est, c'est bien Germaine Lenu.) Et alors qu'on croyait qu'elle n'était même pas capable de se tenir sur ses jambes, elle est partie.

     

    Ce sont les inspecteurs qui en ont fait une tête !" Elle rit. "J'ai bien pensé que ça vous ferait plaisir de le savoir... (Plus bas.) Ils m'ont demandé ce matin s'il n'y avait rien à craindre pour vous. Je leur ai dit :

     

    'Vous pouvez être tranquilles ! Elle aime bien trop son petit pour partir sans lui !' ça les a tranquillisés un peu, mais ils vont multiplier leurs rondes." Elle part avec un grand "Chut !" et doigt sur les lèvres.


    Oui, je serais bien bête, après cela, si je n'arrivais pas à partir.


    Les heures s'écoulent lentement... Quelles seront les réactions de mes voisines ? Il faut bien que je fasse leur connaissance, et vite !

     

    Elles sont là, à bavarder, geindre ou dormir en attendant leur délivrance. Elles savent que je suis détenue. Leur curiosité est éveillée. C'est sans aucun mal que j'entame la conversation avec l'une, avec l'autre.


    La plus proche de mon lit est une petite personne bien à plaindre. Son mari a obtenu un congé de trois jours pour ses couches.

     

    Et voilà que le congé est terminé et que le gosse n'est pas là ! Impossible de la faire changer de sujet, de la sortir de son désespoir.


    C'est une autre femme qui intervient :

     

    "Et qu'est-ce que vous diriez si vous étiez comme cette petite (la petite, c'est moi) qui est gardée, qui a son mari à Buchenwald et sans nouvelles encore, hein ?" L'autre répond qu'elle ne veut même pas l'imaginer, qu'elle deviendrait folle.

     

    La conversation, lancée sur ce terrain, s'est généralisée. On me pose des questions, et je lis la sympathie sur les visages. Une seule ne dit rien, le nez sur une brassière qu'elle achève. Est-elle si absorbée ou faut-il se méfier ?

     

    Mais elle relève la tête : elle non plus, son mari ne viendra pas la voir. Il n'a pas répondu à l'ordre de réquisition allemand.

     

    Il est au maquis.

    Ca va. Il ne reste plus qu'à m'habiller. La chemise et le manteau bleu de l'hôpital sont si amples que je peux parfaitement porter tous mes habits dessous à condition de bien tenir mon col fermé. Un seul ennui : la visite du docteur. Il passe plus tôt d'habitude. Et il se peut qu'il demande à voir mon sein...


    Le chariot grince dans le couloir avec son chargement de choux et de bière. Et voilà que le docteur arrive avec sa cour d'internes, de sages-femmes, d'infirmières ! Heureusement, il est pressé.

     

    Tout va très bien ! Personne n'est malade. Ouf !


    Je ne peux pas manger. J'ai une boule dans la gorge. Michou piaille, il ne se doute de rien. Je ne devrai l'habiller qu'au tout dernier moment, parce que, lui, ça se verrait. (...)
    C'est l'heure.

     

    Les "visites" commencent à partir, lentement. Je vais tout droit au berceau, soulève Michou et travaille à le vêtir. Travaille, c'est le mot.

     

    Chaque fois qu'il s'agit d'enfiler une manche, ses menottes s'accrochent à la laine. Impossible de la faire glisser, et je ne peux pourtant pas lui casser les doigts pour aller plus vite... Lui a essayé de crier, puis s'est tu, suffoqué de surprise. Marcel me sert de paravent et répète : "Ne t'énerve pas, ne t'énerve pas, prends ton temps, là..."

     


    Mais moi je m'énerve, parce que j'entends les infirmières arriver pour prendre les poupons, un sous chaque bras, comme d'habitude. C'est l'heure de la pesée qui précède la tétée. L'heure, ou presque. Elles sont en avance, aujourd'hui. Enfin, ça y est. Je remonte les couvertures sur Michou tandis que de l'autre main je fais tomber chemise et manteau d'hôpital. Hop ! sous le lit.

     

    J'attrape Michou, et en route !

     

    Tout cela n'a demandé que très peu de temps.


    La salle est muette, tous les regards sont tournés vers nous.

     

    "Marche droit devant toi, ne t'occupe pas de ce qui se passe derrière."

     

    J'obéis à Marcel. Je fonce. La cape est trop petite et Michel trop gros dans tous les lainages dont je l'ai affublé. Il ne peut pas passer inaperçu ! Tant pis ! Trop tard pour envisager autre chose.

     

    Je fonce...

     


    Un grand cheval se dresse devant moi, bras en croix. L'étau s'abat et se resserre sur mes épaules. Brusquement, il se relâche. La voie est libre. Je fonce...Je m'essouffle. Je cours. Mes jambes tremblent.

     

    Je cours. Vais-je tomber ? Il ne faut pas !

     

    Et Michou ? Je cours.

     

    Mais il va falloir ralentir, ou je vais m'écrouler avec mon Mich'. Mes jambes ne me portent plus.
    Des pas derrière !

     

    Des pas rapides.

     

    On court. J'essaie d'aller plus vite. Impossible.

     

    C'est Marcel... ou les autres ? Je ne peux pas me retourner. Qu'importe.

     

    Les jeux sont faits. Je cours...


    Une main m'agrippe. C'est Marcel.

     

    "Ma pauvre vieille, j'ai cru que tu allais te flanquer par terre... Va, le plus gros est fait. On va marcher rapidement, mais sans courir, vers la sortie."

     

    Pourtant, moi, j'ai hâte. Je ne peux m'empêcher, j'ai hâte. Je bouscule quelques vieilles femmes qui encombrent le passage.

     

    Marcel les redresse à mesure et répand les excuses...

     

    Que c'est long ! Ah ! le porche... Ah ! dehors ! (...)

    [France, Marcel et le bébé sont sortis de l'hôpital. Ils s'engouffrent dans le métro. Ils croisent des voyageurs "inquiétants", des soldats de la Wehrmacht...

     

    Enfin, c'est l'arrivée sans encombres Porte d'Ivry à la demeure d'amis...]

     



    Marcel a couru prévenir Edeline à l'usine de produits chimiques où elle travaille. "France est là... avec le petit".

     

    Elle a vite obtenu une autorisation, elle accourt. "Ils t'ont quand même libérée ! Comme je suis contente ! - Mais non, mais non, précise Marcel en entrant dans la cuisine. Je t'ai déjà dit qu'ils se sont libérés. Ce n'est pas pareil ! - Pas possible, tu blagues !"

     


    Alors on lui raconte tout et j'apprends moi-même des détails dont il aurait été inopportun de parler avant... tandis qu'Edeline s'empresse.

     

    "Que voulez-vous ? Je n'ai que du pâté, et pas très fameux... C'est tout ce qu'on trouve...

     

    - Alors, si tu n'as que du pâté, ne nous demande pas ce qu'on veut, blague Marcel. Mais pour ma part, je n'ai pas faim.

     

    Donne-moi un peu d'eau, j'ai soif."

     


    Moi aussi, j'ai soif, une soif dévorante.

     

    Michou aussi a soif. Il est déjà suspendu à mon sein et avale gloutonnement en massant la chair comme les chats font "la vendange". Pauvre Mich', son repas de midi est bien en retard !

     


    "Voilà, explique Marcel, il n'y a qu'une 'tordue' qui s'est dressée sur mon passage. Je lui ai gentiment serré les poignets.

     

    'Vous n'allez pas faire l'imbécile, non ? Tenez-vous tranquille, sans quoi !' Et j'ai mis ma main à la poche d'un air méchant. Puis je l'ai soulevée et l'ai enfermée dans la dernière petite pièce à droite en sortant. Par la porte vitrée, je l'ai vue reculer jusqu'au fond en entraînant les autres. Dans le couloir, un vrai sauve-qui-peut.

     

    Tous me croyaient armé. Alors j'ai couru rejoindre France et Michou. Heureusement, ils allaient se flanquer par terre.

     

    Le plus fort, ajoute Marcel, c'est que je n'étais pas armé du tout..."

     


    Maintenant, tandis que Marcel casse la graine (après la soif, la faim lui est venue), et qu'Edeline, de toutes ses jambes, va prévenir ma camarade Pourchasse, je fais ma correspondance. Michou tète encore, à perdre haleine.


    J'écris à tous mes parents et amis susceptibles de voir descendre les flics chez eux pour une enquête... parents, beaux-parents...

     

    jusqu'à Marcel lui-même, recevront le même très court billet offrant un minimum de variantes :

     


    "Chers...

    Je viens de m'évader avec Michou de l'hôpital.  !!!

     

    Ne cherchez pas à avoir de nos nouvelles.

     

    La liberté nous a été refusée, nous l'avons prise.

     

    Ne soyez pas inquiets à notre sujet, nous allons très bien et nous irons mieux encore maintenant que nous sommes libres."

     


    Ce serait si bon de pouvoir envoyer également un message à Lucien !

    "Tu as rudement bien fait, ma fille !

     

    me dit Pourchasse. ça, les gosses, c'est du bon travail !

     

    Quand je pense que ma petite belle-soeur aurait pu s'échapper aussi... Au sortir de l'hôpital, ils l'ont expédiée en Allemagne et son bébé à l'Assistance. Voilà ! Eh bien ! tu as bien fait de te sauver. Et toi, tu es un brave gars ! (...)

     

    C'est pas tout ça ! Mais où va-t-on mettre ces mômes ?"


    Edeline et Pourchasse discutent.

     

    Chez elles, ce n'est pas possible.

    Leurs familles sont déjà à l'étroit, et les gosses, c'est curieux. Et puis nous serions mal. Mais il y a mieux... le logement d'une camarade arrêtée depuis le début de la guerre et que la police a oublié depuis belle lurette.

     


    Il ne faut pas tarder. La nuit tombe vite. À toutes les questions, on répondra : "C'est notre petite cousine de Bruxelles qui est réfugiée..."

     

    Au fait, comment parle-t-on à Bruxelles ? C'est que je n'ai pas la plus petite idée de l'accent !


    Marcel part, chargé de lettres et de "pneus" qu'il expédiera d'une poste au centre de Paris. Pour le reste, il se débrouillera. Son patron est "dans la course" ; il répondra ce que lui, Marcel, lui demandera de dire.

     

    Pourquoi aurait-il quitté son travail ce jour-là ?

     

    Quant aux copains, pas de question, tu penses !

    Le premier soir s'écoule, seule avec Michou.

     

    Les persiennes sont closes.

     

    Du côté cour, il ne faut pas ouvrir, pour ne pas déceler notre présence.

     

    Il ne faut pas non plus faire de lumière.

     

    Du côté des terrains vagues, le péril est moindre. Je pourrai ouvrir un peu. Pas d'électricité : elle a été coupée depuis l'arrestation de la camarade. Une énorme lampe à pétrole est à mon chevet. Pourvu que je ne la casse pas. Il ne faut pas faire trop de bruit. Plus on passera inaperçus, mieux ce sera.

     

    Les gosses iront faire les courses.

     

    "C'est Claude qui sera content de savoir qu'il y a un petit bébé", a dit Pourchasse.

     


    On dirait que Michel a compris.

     

    Il a sombré dans un sommeil profond comme la nuit, mais sa respiration est heureuse. (...) Au petit jour, l'appartement est glacial.

     

    Michou n'a pas crié de la nuit. Il dort encore, j'entends son souffle régulier et profond.

     

    C'est l'heure de la tétée. Le réveil m'a prévenue avec sa métallique rudesse.


    O bonheur ! réveil strident et tintinnabulant, nous sommes libres.

     

    "Michou, nous sommes libres..." !!!

     

    23/07/2011
    Auteur : France Hamelin Lien : Le patriote résistant

     

     

     

     

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